Pour « disrupter les disrupteurs », jouer l’intelligence collective des écosystèmes par E Haehnsen

À condition d’adopter une mentalité d’entrepreneur visionnaire, toutes les entreprises peuvent se lancer dans l’innovation disruptive. Elles puiseront les ressources et la créativité nécessaires au sein d’écosystèmes les plus variés.

« Nous entrons dans une période de disruption à la fois massive, rapide, violente et inéluctable. Les entreprises qui ne sauront pas comment créer la valeur de demain seront balayées par cette vague car leurs patrons sont des gestionnaires salariés et non pas des entrepreneurs visionnaires », lance Stéphane Mallard, auteur du livre Disruption Intelligence artificielle, fin du salariat, humanité augmentée (éd. Dunod).

Pour se tailler une place au soleil dans ce monde où l’innovation se shoote à l’intelligence artificielle, il va falloir apprendre à tout disrupter : les entreprises, les modèles d’organisation, les modes de travail, les mentalités, les valeurs et aussi soi-même ! Bref, on n’innove pas tout seul dans son coin ni avec les idées d’hier. Et allumer les moteurs de la fusée innovation réclame de « changer de logiciel » en recourant à la créativité de l’intelligence collective ainsi qu’à des écosystèmes agiles et performants.

Une chose est sûre : même les grandes entreprises sont capables de se disrupter elles-mêmes. À l’instar de Gefco (4,4 milliards d’euros de CA en 2017 ; 13 000 salariés dans 43 pays). Créé il y a 75 ans, ce groupe opère dans la logistique industrielle globale et internationale. « En 2015, alors que la société se portait bien, mes collaborateurs se demandaient qui nous étions et où nous allions, se souvient Luc Nadal, le président du directoire de Gefco. Nous avons passé toute l’année 2016 à « décoder notre ADN », notre raison d’être. Et nous avons trouvé notre « inaccessible étoile » : Infinite Proximity. C’est-à-dire une entreprise logistique qui dit à ses clients, salariés et partenaires : ensemble, partout, de façon illimitée. » Au rythme de 12 réunions sur un an, la direction est allée voir ses 2 000 cadres dans le monde pour prêcher la bonne parole. « En partageant cette vision, on peut accorder une grande autonomie à nos collaborateurs. L’entreprise n’est plus tirée par les ordres de la hiérarchie mais par sa raison d’être », reprend Luc Nadal. Mais un constat revenait : il était urgent d’innover.

Développer l’innovation en interne et avec l’externe

Le groupe Gefco s’est alors propulsé dans Techstars, un réseau international d’accélérateurs, afin de rencontrer des centaines de startups et d’entamer des collaborations sur des projets communs (intelligence artificielle, blockchain, IoT…). Deux projets par an peuvent ainsi être accélérés.

Puis, ils ont créé avec Talan une JV (joint venture), hébergée au Schoolab qui, dans le Sentier, à Paris, fédère un écosystème d’ateliers et d’experts pour concevoir, produire et lancer des innovations sur le marché. Enfin, l’Innovation Factory du groupe a également été installé au Schoolab. Objectif : recevoir toutes les idées innovantes proposées par les collaborateurs du groupe.

Depuis trois mois, les candidats innovateurs soumettent leur idée dans un pitch vidéo de deux minutes. Après analyse, les projets les plus convaincants sont accueillis au sein de l’Innovation Factory pendant quelques jours, le temps de peaufiner leur présentation. Ils perçoivent alors un financement sur trois mois jusqu’à la réalisation de leur preuve de concept (POC). Aujourd’hui, 12 POC sont en cours. Certaines seront déployées dans le groupe. D’autres feront l’objet d’une startup dans laquelle Gefco investira aux côtés de tiers. D’autres encore seront tout simplement abandonnées.

« Peu importe que ça passe ou que ça casse. Chacun doit en retirer un enseignement à titre personnel, insiste Luc Nadal. Et puis, quand un Argentin vient à Paris pour défendre son idée en Europe, c’est enthousiasmant ! Cela crée du lien dans la société. »

Des structures à l’écart de l’activité principale

Accélérateurs, structures de co-innovation, programmes de recherche collaborative, plateformes d’appels à projets innovants, fab labs… pour bon nombre d’entreprises, l’organisation de l’innovation ne date pas d’hier. Mais la difficulté, c’est de trouver LA bonne idée, celle qui génère une réelle valeur. C’est là qu’intervient l’intelligence collective qui « à partir de mes idées et de celles des autres, en fait émerger d’autres qu’aucun de nous n’aurait eues seul et qui se révèlent bien meilleures », explique Jean-Bernard Rivaton, coprésident de l’association Vision 2021, chargé de diffuser l’intelligence collective en France et en Europe. Forums ouverts, codéveloppement, réunions déléguées, plateformes d’idéation… le point commun à toutes ces méthodes et techniques, c’est de casser les silos entre les services (R & D, marketing, production, logistique…), développer la transdisciplinarité, remettre en cause les lourdeurs de la hiérarchie…

Avec Le Square – Renault Open Innovation Lab, l’alliance Renault, Nissan, Mitsubishi phosphore à la fois sur l’avenir de la mobilité urbaine et sur les nouvelles manières de collaborer. Cette ancienne concession Renault du XIe arrondissement de Paris a été transformée en laboratoire à idées et à partenariats ouverts. Totalement « hors sol », cette structure est placée à l’écart du modèle fortement hiérarchique donneur d’ordres/sous-traitants typique d’un constructeur automobile mondial de 120 ans d’âge qui produit 45 000 voitures par jour. Ici, les maîtres-mots sont curiosité et ouverture, confiance et bien-être, apprentissage et autonomie.

C’est aussi une réaction à la disruption de Tesla d’Elon Musk avec ses voitures électriques et ses batteries domestiques alimentées par panneaux solaires, qui ont obligé tous les constructeurs automobiles à accélérer le passage à la voiture décarbonée, autonome et aux nouvelles mobilités.

« Un constructeur automobile, c’est un énorme donneur d’ordres qui agrège des armées de sous-traitants. Il parle de produits, standardise, optimise les coûts, décortique Lomig Unger, cofondateur du Square qui rassemble 25 partenaires comme Autonomy (agence de mobilités urbaines), Usine IO (fab lab) ou l’équipementier Visteon sur le principe du « chacun est le bienvenu ». Les nouvelles mobilités urbaines changent ce modèle hiérarchique. Il n’y a plus de « clients », mais des « parties prenantes », des partenariats, des marchés locaux, des villes, des productions sur mesure… Surtout, il y a de nouveaux modèles économiques et de nouveaux usages à anticiper. »

Source : https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/pour-disrupter-les-disrupteurs-il-faut-jouer-l-intelligence-collective-des-ecosystemes-785104.html

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