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Pourquoi le management de l’innovation commence à s’essouffler ? par A Groff

L’innovation est devenue la préoccupation n°1 des entreprises. Depuis 2013, après de nombreuses années de promotion d’une « mé-culture » de l’innovation en France, de nombreux acteurs ont contribué à changer cette vision étriquée. Ils ont aussi réussi à sensibiliser le plus grand nombre sur l’importance de ne pas prendre l’innovation comme une option mais comme une capacité intrinsèque de l’entreprise à s’adapter en continue.

En effet, la France était spécialiste de la confusion permanente entre la performance technologique et l’innovation, ou encore pire, entre la quantité de R&D et le potentiel d’innovation, alors que les travaux de P. Lemasson (Mines ParisTech) ont toujours démontré que cela était faux.

  • Mais où en sommes-nous aujourd’hui après 10 ans de sensibilisation à toutes les formes d’innovation ?
  • Est-ce que la quantité d’acteurs en soutien à l’innovation, la quantité grandissante d’événements privés ou publics comme des hackathons, des concours ou des démarches d’open innovation sont des signes positifs du développement de la vraie culture de l’innovation ?

·        Ou au contraire est-ce le témoignage d’un essoufflement des approches classiques du management de l’innovation « sous anabolisant » et qui n’est pas adopté par les salariés mais uniquement poussé par quelques convaincus courageux et visionnaires ?

« Ras le bol » des événements et des pubs sur l’innovation

Il n’y a pas une journée sans un post qui fait écho de la « super soirée » de remise de prix du hackathon de « truc » ou encore le prix de la meilleure démarche d’innovation participative de la « maison bidule ». Sans parler des publicités des banques qui proposent de supers agences « tip top » pour innover avec des prêts innovation où finalement on doit engager sa maison, soit un prêt classique. Mais comme on gagne le droit d’accéder à ce prêt en gagnant un concours… cela fait plus « IN ».

Bref vous l’avez compris, tout cet étalage de communication et d’événementiel m’agace mais ça, ce n’est pas important. Ce qui est surprenant c’est que cela agace aussi les salariés qui pour certains se sentent de moins en moins innovants, car peu concernés et peu valorisés. Et pour d’autres, parce qu’il y a « la claque du lendemain », à savoir des attentes non satisfaites car souvent l’événement sur-vend la démarche sans être synchronisé avec l’exploitation des richesses créatives sorties de ces « events », d’où la déception de ne pas voir son idée exploitée !

Les systèmes de management de l’innovation participative « saturés »

Pour canaliser mon agacement face à ce déballage de moyens investis dans l’animation plutôt que de le mettre dans l’innovation elle-même, je me suis amusé à poser les deux mêmes questions sur le management de l’innovation à ceux qui pratiquaient, c’est-à-dire 900 dirigeants interviewés lors de mes conférences ou rencontres « expert ».

  • Question 1 : Si vous investissiez plus dans vos démarches de management de l’innovation, pensez-vous obtenir plus de résultats ?
  • Question 2 : À l’inverse, si vous réduisiez vos investissements, quelles seraient les conséquences ?

Les réponses sont sans appels. À la question 1, les dirigeants interrogés sont unanimes, nous arrivons aux limites du système car nos responsables innovation, même avec certains relais managériaux, ne peuvent pas étendre indéfiniment le rayonnement de leurs démarches d’innovation participative.

Pour les plus performants on arrive avec succès à impliquer presque 20% des salariés. Ce qui est génial, mais ce qui est vraiment surprenant c’est la mise en perspective de cette réponse avec les réponses à la question 2.

En effet, pour ces mêmes dirigeants, lorsqu’ils ne soutiennent plus les démarches d’innovation, le taux d’implication se réduit rapidement et naturellement pour ne concerner plus que les « passionnés » d’innovation.

Cela signifie que ce que nous préconisons depuis 10 ans sur le management de l’innovation arrive à ses limites. Certes , et il faut le reconnaître, cela a permis de changer la culture de l’innovation, de l’ouvrir à d’autres champs et d’autres talents mais aujourd’hui toutes ces approches de management de l’innovation ne permettent pas d’ancrer cette culture au cœur de l’entreprise, au cœur des salariés, or l’enjeu est là.

Le danger serait de continuer et d’obtenir les effets inverses recherchés

En effet l’enjeu de l’innovation est de garantir une caractéristique clé de l’entreprise : sa capacité de survie en s’adaptant continuellement.

Cependant, en ne disposant que d’une culture « artificielle » de l’innovation participative, on ne développe pas cette capacité de survie à tous les niveaux de l’entreprise.

Les besoins d’agilité, d’adaptation, peuvent survenir et sont nécessaires dans toute l’entreprise. De plus, pour qu’une entreprise s’adapte, il faut aussi imaginer que toutes les composantes humaines de l’entreprise évoluent avec le système, sans quoi l’entreprise ne survivra pas.

Avec ces démarches d’innovation participative « sous anabolisants », vous n’impliquez pas le plus grand nombre, et parfois même pire, les 80% restant se sentent exclus de la démarche et n’imaginent même pas être capables d’être agile. Or le jour où l’entreprise devra faire un pivot, ou affronter une mutation, vos équipes ne seront prêtes et efficientes face au changement.

Mais pourquoi toute cette communication des banques et grands groupes sur les concours d’innovation ?

Quel est l’utilité de tous ces événements ? Et bien essentiellement mobiliser et tenter de mettre en mouvement, on peut leur reconnaitre cela. Mais seuls, ils ne servent pas véritablement à remplir leur objectif de développement de l’innovation. C’est-à-dire entretenir la capacité de survie de l’entreprise.

Concernant certains grands groupes, cette communication sert à attirer de futurs talents dans leurs filets, ou encore, identifier des startups pour les aspirer.

Concernant les banques, je ne reviendrai pas sur le fait que lors de l’époque de la ruée vers l’or aux USA, seuls les vendeurs de pioches et de pelles ont véritablement fait fortune…

>> Alors quelle est la solution ?

Il faut rappeler le formidable travail d’association comme Innov’acteurs (et leurs membres) et il faut absolument continuer à organiser, animer, communiquer sur l’innovation, si et seulement si votre but est d’en faire une affaire de tous, à tous les étages, au quotidien, en fonction des talents, des envies et de la charge de travail, ET SURTOUT, avec comme objectif que votre système de management ne soit pas là pour tirer seul , indéfiniment tout le monde, même si parfois, à coup de dopant ‘marketing », cela permet de mettre artificiellement l’entreprise en mouvement un court instant…

En effet, il faut que ces événements aient comme finalité de transformer tous les salariés de l’entreprise et de développer chez eux cette capacité d’engagement collectif souvent attribuée au « intrapreneur ». Il faut créer les condition de cette intelligence collective par un engagement fraternel dans l’envie de mettre en mouvement l’entreprise dans notre quotidien et développer ce sentiment « d’être tous dans le même bateau, avec tous un talent indispensable à la navigation »

Cela passe donc par la mise en place de moyens permettant à chacun de tous contribuer à la survie de l’entreprise, à son évolution en fonction de ses talents, ses compétences et ses envies. Cela passe par la mise en place de solutions managériales permettant de faire vivre « une expérience » aux salariées et de suivre leur propre chemin PARMI les autres.

Aujourd’hui, il me semble que le concept de réseau social d’entreprise est en capacité de permettre à chacun de s’impliquer en fonction de son profil et de ses motivations du moment. Mais attention, seul le sens que l’on donne à ce réseau social d’entreprise permet de favoriser l’engagement collectif. Là et seulement là, nous parlerons d’une vraie intelligence collective. En précisant cela nous comprenons que le management reste fondamentale pour que cet écosystème « social » soit efficient pour tous.

La seule réponse possible pour passer à l’âge d’or du management de l’innovation est donc selon moi, le management inclusif de l’innovation qui aujourd’hui peut enfin s’appuyer sur des solutions digitales permettant de créer un mouvement continu autour de l’innovation et de l’intrapreneuriat .

Arnaud Groff Phd

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