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En quoi les espaces dédiés à la créativité permettent d’ouvrir l’innovation ? par M Nialiv

Cette problématique se structure autour de plusieurs notions clé : l’innovation ouvetre, les espaces dédiés à la créativité et la structuration d’un système complexe comme Renault.

Après avoir longtemps hésité sur l’appellation à donner au Creative Lab, passant du terme « Espace disruptif », au déjà existant « Espaces Collaboratifs d’Innovation », j’ai finalement décidé de choisir l’appellation « Espace dédié à la créativité » qui reprend concrètement ce qui s’y passe. En effet, le Creative Lab, comme son nom l’indique, est un espace cherchant à favoriser la créativité, en tant que compétences chez les individus, mais également en tant qu’acte de génération et de formalisation d’idée. Parler d’innovation à ce stade peut provoquer des incompréhensions. Le travail du Creative Lab se passe en extrême amont du processus d’innovation et ne va participer que de façon marginale à la mise sur le marché d’une invention et donc à concrétiser une innovation. Il ne produit vraiment que des innovations de processus et son influence sur le potentiel d’innovation de Renault se limite pour l’instant à favoriser la créativité et l’ouverture.

La créativité toutefois, est un moyen d’ouvrir l’innovation en sollicitant l’ensemble des collaborateurs de Renault. Cet objectif n’est pas évoqué frontalement, à la façon d’un cheval de Troie. En apparence et dans l’usage, c’est d’abord un espace dédié à la créativité, mais une fois à l’intérieur, l’objectif est plus ambitieux, il s’agit de modifier son environnement et notamment d’ouvrir l’innovation. Un espace ne peut être seulement disruptif, il doit s’appuyer sur une activité motrice, la promotion de la créativité dans le cas du Creative Lab, pour avoir des effets et une légitimité.

Une structure comme Renault doit être envisagé comme un système appartenant à des sur-systèmes et comportant des sous-systèmes. Tout d’abord, Renault est un grand acteur industriel français mondialisé faisant notamment partie du CAC40. Renault, ainsi que d’autres acteurs majeurs dans l’économie française, va développer des démarches de co-innovation notamment au moyen d’espaces comme Idea’s Lab, structure hébergée par le CEA de Grenoble, elle permet de réunir différents acteurs autour de problématiques systémiques liées à l’innovation.

Renault dispose de plusieurs sites de travail dont le Technocentre, malgré des effectifs de plus de dix mille salariés, n’est que le site dédié à la conception. Il est organisé spatialement pour représenter les différentes étapes de la conception, du design au prototypage en passant par les tests. Le Creative People Lab se positionne très en amont de la conception puisqu’il intervient dans l’exploration des tendances et dans l’imagination de nouvelles solutions et de nouveaux scénarios d’usage. Il constitue un sous-système transverse puisqu’il cherche à réunir une communauté ouverte à tous les services mais également sur l’extérieur.

Enfin, au niveau individuel, différents acteurs sont présents au sein d’un espace disruptif, que ce soit en terme professionnel avec les différents métiers liés, ou en tant que visiteur avec les différents profils et ce qu’ils y cherchent.

On cherchera à vérifier ces hypothèses :

  1. Les espaces dédiés à la créativité forment une soupape émancipatrice pour de nombreux usagers.
  2. Les espaces dédiés à la créativité permettent de soutenir des initiatives intrapreneuriales.
  3. Les espaces dédiés à la créativité permettent de générer une culture d’innovation commune depuis la base.
  4. Les espaces dédiés à la créativité permettent d’ouvrir l’innovation par la médiation.
  5. Les espaces dédiés à la créativité s’appuient sur une mise en commun des capacités pour favoriser la créativité
  6. Les espaces dédiés à la créativité permettent d’apprendre à travailler de façon plus agile.

PREMIERE PARTIE : OUVRIR L’INNOVATION DE FAÇON COMMUNE

CHAPITRE 1 : DEVELOPPER UNE CULTURE CREATIVE

1. L’innovation concerne la société

Des lieux de savoirs sanctuarisés

Depuis l’antiquité, les sociétés se basent sur des espaces dédiés pour développer la connaissance et les savoirs. Dans l’article « Insularité VS ouverture — le dilemme des lieux de savoir et d’innovation », Raphaël Besson propose une grille d’observation de l’évolution de ces espaces en fonction de leur ouverture à la société civile. Plusieurs caractéristiques prégnantes de ces lieux peuvent être notées.

Premièrement, la conception des lieux de savoirs reposaient sur une philosophie isolationniste qui considérait qu’il fallait se couper du monde extérieur et vulgaire pour atteindre la connaissance. C’est par une méditation comparable à celles des saints de la Chrétienté que les scientifiques se rapprochent de la connaissance vue comme une et absolue. Le développement des universités et des campus dans notre histoire récente perpétue cette volonté autarcique en créant des espaces de réflexion clos et coupé de la société.

Deuxièmement, les lieux de savoirs sont sanctuarisé. Que ce soit dans le cas de la bibliothèque d’Alexandrie ou des premiers monastères, l’accès aux savoirs est un privilège rare réservé à une élite intellectuelle ou religieuse. Au XVIIème siècle, l’écrivain Gabriel Plattes décrit les laboratoires anglais comme des espaces « où le secret est garanti, pour cette raison que personne n’est autorisé à y entrer sauf à se trouver contraint d’y rester, étant alors assuré d’être pourvu en tout jusqu’à ce qu’on le conduise à l’église au jour de son enterrement ». Ce culte du secret s’est amplifié au XXème siècle à cause des enjeux militaires, mais également économiques puisqu’une invention protégée par un brevet peut donner un avantage concurrentiel conséquent pendant de nombreuses années.

Pour la tradition chrétienne et monastique, les sciences cherchaient à comprendre la nature dans une volonté contemplative de comprendre la Création divine et approcher la Vérité absolue. Avec l’arrivée des Lumières, le concept de progrès a pris le dessus et les sciences devaient mener l’humanité vers un avenir forcément meilleur. Cependant, les guerres du XXème siècle et le dérèglement climatique du XXIème siècle ont montré le potentiel destructeur des sciences et des techniques et remis en cause la promesse progressiste.

L’innovation au plus près de la société

La multiplication des appels à l’innovation que l’on voit ces dernières années s’inscrit dans la fin de l’illusion progressiste et dans le besoin urgent de s’adapter pour faire face aux conjonctures économiques et écologiques. L’innovation s’intègre donc dans une dynamique d’adaptation d’un système à de nouvelles contraintes, du passage d’un ancien à un nouveau qui implique une destruction qui se veut créatrice comme l’a montré Schumpeter (1965).

La recherche isolée n’est plus recommandée puisqu’il faut être au cœur du système pour en comprendre les manques afin d’en proposer une nouvelle version comportant un changement plus ou moins radicale.

Dans la dernière édition du Manuel d’Oslo, la définition d‘une innovation se concentre sur la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’organisation dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures.

Une innovation est donc une invention qui a pu être implémenté auprès d’un groupe et générer ou modifier des usages, elle est le résultat d’un processus d’innovation. Si de nombreuses propositions existent, la créativité, dans sa capacité à générer puis formaliser des idées nouvelles, est une dimension primordiale, au sens de son importance et de sa place dans la chronologie, du processus d’innovation.

Tim Kelley, dirigeant d’IDEO, dans son livre « The ten faces of innovations », déclare que l’anthropologue est le rôle le plus important puisqu’il est chargé de trouver les bonnes questions, de trouver la faille du système à exploiter, le problème à résoudre. Dans le cadre de l’innovation, l’expérience empirique de la société guide l’action technicienne et économique. Avant de trouver une solution, il faut trouver la question.

La créativité pour trouver des solutions innovantes

La figure du « créatif », que ce soit l’artiste comme l’inventeur solitaire, véhicule un imaginaire mystérieux où l’idée lui viendrait quasiment ex-nihilo, voire d’inspiration divine. Cette aura de mystère, qui s’explique par une incompréhension globale des mécaniques créatives, diminue à mesure que l’on s’intéresse au processus de création.

L’invention du Brainstorming par Osborne, président de l’agence de pub new-yorkaise BBDO, en 1938 relève d’une volonté d’industrialiser la créativité, de la rationnaliser pour la mettre au service des nouveaux modes d’organisation du travail et l’adapter aux besoins du marché. Avec Sidney Parnes, ils sont à l’origine du Creative Problem Solving (CPS) soit la mobilisation de la créativité pour résoudre des problèmes. Si le nombre d’étapes dépend des versions, elles s’organisent autour de trois sphères: clarifier l’objectif, produire des solutions, se préparer à l’action. Ces trois sphères sont inspirées du processus créatif scientifique (imprégnation, incubation, illumination et expérimentation) d’Henri Poincaré et du processus créatif artistique (préparation, incubation, intimation, illumination et vérification) de Richard Smith.

C’est l’alternance entre la divergence, démarche d’idéation exploratoire, et la convergence, démarche de capitalisation et d’exploitation des idées émises, qui équilibre la créativité. Cela se rapproche du concept d’ambidextrie organisationnelle popularisé par March en 1991.

Ces travaux ont durablement marqué la vision de la créativité d’aujourd’hui et notamment Design Thinking qui a obtenu une certaine popularité ces dernières années.

Le Design thinking est une méthodologie d’innovation héritée du monde du design et basée sur les besoins de l’utilisateur et de la société en général. Formalisée par Tim Brown, directeur de l’agence Ideo, elle s’apparente fortement au Creative Problem Solving tout en s’appuyant sur la culture du design et de l’agence Ideo. Il y a 4 étapes :

  1. Empathize (Être curieux de tout et se mettre à la place de tout),
  2. Define (Extraire des problématiques tirées des observations),
  3. Ideate (Générer un maximum d’idées de la plus déjanté à la plus réaliste),
  4. Iterate (Prototyper un produit ou un service répondant aux besoins initiaux et l’améliorer par essai-erreur).

Les apports de cette méthode sont l’approche centrée sur l’utilisateur et son environnement ainsi que le prototypage itératif. C’est dans cette capacité à se projeter sur un objet prototypé, parfois à partir d’objets quelconques, et à s’intégrer dans un système observé, que la méthode gagne en pertinence et se rapproche du réel, que ce soit par la matérialisation comme l’immersion.

Pour résumer, la créativité aujourd’hui ne peut se concevoir comme complètement isolée puisqu’elle gagne sa pertinence en étant proches des problèmes de la société et en étant capable de proposer des solutions innovantes. Aujourd’hui, tout le monde peut nourrir le processus de créativité à la fois par la connaissance du monde et par l’expertise sur certains usages.

2. Tout le monde peut être créatif

La perte des capacités créatives

Dans les années 70 émerge l’idée que tout le monde peut être créatif, mais que la société, de par les codes qu’elle impose brimerait la créativité de chacun. Dans un style proche de Rousseau, les pédagogies de l’époque considèrent que l’on est tous naturellement créatif et que c’est le poids de la société qui a perverti ses capacités. Ainsi, la créativité enfantine est valorisée pour sa capacité à ne pas craindre l’échec et à oser sans complexes.

Si la capacité à assimiler puis surmonter l’échec, à prendre l’erreur comme une errance propice à la sérendipité, est toujours considérée comme un facteur de créativité, limiter la créativité à des compétences enfantines est réducteur. Si l’enfant est capable de générer des idées, c’est bien l’adulte qui saura les formaliser. La théorie C-K, Concept-Knowledge, montre la nécessité d’avoir un solide socle de connaissances, Knowledge, pour développer une démarche créative.

Pour Bernard Stiegler, la capacité créative de chacun a été perdue suite à la prolétarisation du sensible due au capitalisme industriel. Le savoir-faire artisanal a été transféré aux machines et c’est tout un ensemble de compétences sensuelles qui ont été perdues. C’est le sens du combat des Luddites qui avaient cherchés à détruire les premiers métiers à tisser, lors de la première révolution industrielle en Angleterre, pour préserver un rapport humain et manuelle à la conception. En plus de cette perte de savoir-faire, il faut ajouter une perte de savoir-vivre avec la déresponsabilisation qu’implique la division du travail et l’émergence de structures avec des hiérarchies complexes.

Si l’acquisition de connaissances et la course à la performance tout au long du parcours scolaire fait perdre une forme de spontanéité propice à la génération d’idée. Le cadre de travail a également une réelle influence sur le potentiel créatif.

Ainsi, la présence du supérieur hiérarchique lors d’une séance de créativité diminue radicalement le nombre d’idées réellement créatives produites car personne n’osera lâcher prise et débrider son imagination. Un cadre de travail bureaucratique où la prise de risque n’est pas valorisée et où l’échec est puni n’encouragera pas une démarche créative.

Le potentiel créatif de l’usager
Durant les années 80, Eric Von Hippel développe le terme de Lead User. En effet, si l’innovation part de l’expérience du monde, alors ce sont les usagers qui sont les plus à même de trouver la bonne question qui mènera à l’innovation. Le Lead User est un utilisateur d’avant-garde, qui va faire les efforts pour améliorer son usage quotidien en suivant de près les propositions du marché mais également en modifiant de lui-même, en hackant7 les objets qu’il a à sa disposition pour les faire correspondre à ses besoins. Si la méthode de Von Hippel désignait surtout les usagers extérieurs à l’entreprise ou les futurs créateurs de start-up, elle révèle également le rôle de l’usager dans le processus d’innovation.

Comme les salariés sont des usagers en puissance, que ce soit du produit final comme des différents procédés propres au fonctionnement de l’entreprise, ils représentent un potentiel de créativité conséquent. De plus en plus, les entreprises vont considérer que la créativité comme l’innovation ne sont plus une prérogative d’une entité à part comme la R&D mais doivent au contraire être un enjeu partagé et fédérateur. La créativité n’est pas l’apanage de quelques génies mais un impératif pour un nombre croissant d’employés.

L’injonction à la créativité

Faire l’hypothèse d’une perte des capacités créatives est intéressant car cela correspond à mettre en avant des facteurs pouvant brimer la créativité. Dans le cadre de l’ambidextrie organisationnelle, l’entreprise doit se doter d’une capacité exploratoire qui peut se manifester soit par des services dédiés, soit par une ambidextrie au niveau de chaque individu. Il s’agit permettre et encourager une dose de créativité à chaque niveau et trouver un équilibre entre les deux respirations créatives, la convergence et la divergence.

Pour le colloque international de la Maison des Sciences de l’Homme, l’injonction à la créativité est le nouvel impératif managérial nécessaire pour concrétiser une dynamique de changement permanent en lien avec la diffusion du numérique8. L’innovation présuppose une capacité à gérer l‘incertitude et à évoluer dans le chaos. Le numérique étant appelé à bouleverser l’ensemble de l’économie, comme on peut le voir avec l’omniprésence du terme « uberiser »9, les capacités d’adaptation et de créativité sont devenus des valeurs majeurs pour permettre à une entreprise de survivre à la transformation numérique.

L’intrapreneuriat

L’intrapreneuriat désigne le processus dans lequel un individu ou un groupe d’individus, en association avec une organisation établie, crée une nouvelle organisation ou provoque un renouvellement ou une innovation au sein de cette organisation10. Cette vision s’inscrit dans l’hypothèse que les organisations n’innovent pas, ce sont les individus dans ces organisations qui innovent11.L’intrapreneuriat peut également désigner l’ensemble des démarches et méthodes permettant d’introduire une gestion entrepreneuriale au sein d’une organisation12.

Pour R. A. Burgelman, c’est le décalage entre potentiel créatif d’une entreprise et l’usage qu’elle en fait qui provoque des processus intrapreneuriaux spontanés13. L’intrapreneuriat, comme initiative individuelle et engagement personnel, répond à la recherche de flexibilité, de « débureaucratisation » et de réduction des cycles de développement. Il va permettre des détecter des opportunités d’affaires, de constituer des réseaux ad hoc ouverts capable de mobiliser les ressources requises, de prendre des raccourcis et de s’engager suffisamment pour surmonter les obstacles.

Perwit, pour la communauté d’innovation Renault, parle de mobilité corsaire, l’intrapreneur (le corsaire) reprend les techniques et la mobilité propre à l’entrepreneur (le pirate) au service de l’entreprise-mère (l’empire colonial). La métaphore est pertinente puisque le contrôle exercé par l’empire colonial envers ses corsaires est proche de celui à avoir pour les intrapreneurs, une certaine forme de tolérance envers des actions officieuses en échange d’un avantage en terme de visibilité et de mobilité pour toucher un marché. Le corsaire apporte sa capacité à être dans le bon « time-to- market » et profite en retour de la puissance du « go-to-market » de l’entreprise-mère.

Il faut bien prendre en compte que ses définitions englobent le salarié à l’initiative comme la start-up incubée. Il est d’ailleurs courant que des organisations intrapreneuriales deviennent des spin-off par essaimage. Deux variables permettent de différencier les différentes organisations intrapreneuriales: leur autonomie et leur complexité.

3. Faire émerger une culture d’innovation

Avant d’exploiter le potentiel d’innovation des employés, que ce soit leur créativité ou leurs dispositions à entreprendre, il s’agit donc de le développer. Pour cela, les politiques culturelles offre un bon cadre de référence en opposant deux modèles : la démocratie culturelle et la démocratisation de la culture. La démocratie culturelle implique que la culture doit venir de la base et qu’il faut donc lui donner les capacités de développer sa propre culture en fonction de ses désirs selon une vision bottom-up. La démocratisation de la culture, à l’inverse, implique une propagation d’une culture structurée depuis le sommet. Cela passe par une acculturation selon une vision top- down. Ces deux mouvements ne sont pas incompatibles et peuvent se nourrir avantageusement dans le cadre d’une co-construction.

L’acculturation àl’innovation
Pour le cas de la créativité et de l’innovation, la démocratisation culturelle s’apparente à une acculturation à l’innovation au moyen d’une diffusion de l’information en interne par des formations ou des outils de communications, mais également par les discours des dirigeants. Le principe est donc de fournir aux employés une base théorique et pratique sur l’innovation qu’ils devront appliquer. Cela peut être à la fois des méthodes d’innovation, des exemples concrets d’autres entreprises ou écosystèmes, ou encore des nouveaux outils de conception.

Le risque est de rester dans une démarche d’acceptation qui ne soit pas suivie d’actions ni de changement dans les comportements et l’usage. Si cette démarche est nécessaire pour développer une culture de l’innovation, elle peut faire l’objet d’un rejet lorsqu’elle n’est pas suffisamment connectée à la réalité vécue des employées. C’est pourquoi il faut également réaliser une co-construction de cette culture de l’innovation.

L’émancipation créative

La démocratie culturelle s’applique davantage dans une volonté d’émancipation créative. Le concept de l’empowerment traduit par capacitation, ou de recapacitation si l’on souscrit à l’idée d’une perte des compétences créatives, est défini par Eisen (1994) comme l’action d’un individu d’accroître ses capacités, ce qui favorise l’estime de soi, la confiance en soi, l’initiative et le contrôle.

D’un point de vue collectif, cela se traduit selon Katz (1984)15 par un paradigme synergique où les personnes collaborent, partagent des ressources comme des compétences. La capacitation passe donc par une mise en communs des moyens et des différents capitaux décrits par Bourdieu. Si le terme américain insiste sur la mise en commun du pouvoir politique, le terme francophone insiste sur les capacités.

Pour Bourdieu, les capacités statutaires conditionnent les capacités effectives. C’est pourquoi il faut non seulement que l’employé soit capable de faire quelque chose mais également qu’il se sente apte et habilité à le faire. Il faut donc redonner des responsabilités et des marges de manœuvres au salarié pour qu’il se sente en droit de prendre des initiatives et de suivre des voies qui lui sont propres.

Pour favoriser la créativité et ainsi permettre l’innovation, il est important que chacun monte en capacités, que ce soit en termes de compétences mais également en autorisations. C’est cette augmentation globale de capacités par la mise en commun des différents capitaux qui va permettre l’acquisition d’une culture d’innovation commune à même de soutenir un écosystème d’innovation.

Une culture participative à la marge du processus d’innovation

S’il est important de bien connaître l’innovation, de se doter de capacités créatives, il est important de trouver un cadre où prendre des initiatives. Développer les capacités exploratoires et créatives des individus a des conséquences qui doivent être assumées par l’entreprise. Mettre en place une boîte à idée sans prendre en compte les idées par la suite ni rétribuer au moins symboliquement ceux qui ont participé peut générer un intense sentiment de frustration. C’est pourquoi ces prises d’initiatives doivent se structurer autour du processus d’innovation afin de le compléter de façon pertinente.

Le meilleur exemple de communautés structurant leurs créations autour d’un contenu officiel sont les communautés de fan, également appelées fandom, décrites par Henry Jenkins16. Les fans vont exploiter les marges et les béances narratives laissées par les producteurs de contenus reconnus pour prolonger, compléter, améliorer, augmenter l’œuvre originale17. L’univers narratif construit pour supporter l’œuvre majeure supporte ainsi, indirectement, les œuvres mineures, que ce soit des fanfictions, des fanarts ou même des mods18. Les fandom sont des communautés créatives organisées, engagées, où circule un savoir co-construit et une culture partagée. Leur structure peut servir de modèle pour une communauté d’innovation participative puisque son articulation autour de contenu officiel, à la fois déviant et déférent, correspond aux besoins d’un processus d’innovation ouverte. Le but est d’avoir une communauté créative s’appuyant sur une base commune et officielle, que ce soit le monde d’Harry Potter ou une gamme de voitures, pour en explorer les marges.

Pour Henry Jenkins, une culture participative se doit de répondre à ces différents critères :

  1. Avoir une faible barrière à la participation aux différents projets et à la vie de la communauté,
  2. Avoir une forte incitation à participer et répondre aux participations de chacun,
  3. Avoir une forte culture d’entraide et de mentorat informel,
  4. Les membres doivent avoir la conviction que leur participation compte
  5. Les membres doivent avoir l’impression de faire partie d’une communauté et se soucier de l’avis de leurs pairs

Nous verrons donc dans le Chapitre 2 comment ouvrir l’innovation au moyen de leviers numériques notamment.

CHAPITRE 2 : OUVRIR L’INNOVATION

1. Un processus d’innovation au centre des interactions

Une plateforme d’innovation

Dans son livre, “Open Innovation : The new imperative for creating and profiting from technology” (2003), Henry Chesbrough insiste sur le besoin de rendre l’innovation plus ouverte et collaborative, non seulement en interne de l’entreprise, mais également avec l’externe au moyen de partenariats par exemple. Il faut bien prendre en compte que l’innovation ouverte recouvre des réalités très diverses, allant des logiciel open source jusqu’au et qu’elle est davantage définie en opposition à l’innovation fermée qui apparait comme isolée par rapport aux écosystèmes d’innovation.

Cette ouverture se manifeste tout au long du processus d’innovation comme symbolisé par ce schéma d’Henry Chellsbrow :

Figure 1 Closed and open innovation — Chesbrough, 2003

Chaque étape du processus d’innovation, que ce soit la recherche voire la mise sur le marché peut donc être faite en collaboration avec des acteurs extérieurs. Deux mouvements sont distingués par l’innovation ouverte :

1. L’innovation entrante (outside-in), où l’entreprise va aller chercher à l’extérieur les connaissances, les procédés, les inventions et les compétences pour nourrir son propre procédé d’innovation. Dans son application la plus simple, Cela s’apparente à une stratégie classique d’intelligence économique ayant une visée exploratoire. Mais cela peut aller plus loin notamment avec des dynamiques d’incubation. Le « Connect and Develop » de Procter & Gamble entre dans cette dynamique puisqu’ils vont héberger des start-up pour les aider à développer des applications favorables à la stratégie globale du groupe.

2. L’innovation sortante (inside-out)où l’entreprise va démarcher d’autres acteurs afin de leur proposer ses services, sa propriété intellectuelle et sa réflexion. L’idée est de valoriser son savoir pour l’imposer comme le standard du marché. Lorsque Tesla Motors a ouvert l’intégralité de ses brevets aux personnes souhaitant, « en toute bonne foi », utiliser leurs technologies, ils cherchent non seulement à consolider la part du marché du véhicule électrique, mais également à imposer leurs standards sur les technologies du secteur.

Pour Chesbrough, l’innovation ouverte participe à la circulation des idées en invitant les entreprises à valoriser les brevets «dormants» auprès d’autres acteurs et en les encourageant à aller solliciter d’autres acteurs comme la recherche universitaire par exemple. Le but est à la fois de combattre le syndrome NIH « Not Invented Here » en ayant bien conscience qu’une entreprise n’a pas besoin d’être à l’origine d’une innovation pour en bénéficier, mais également d’éviter une gestion « défensive » des droits de propriétés intellectuelles. Dans la plupart des grandes entreprises, 20% des brevets génèrent 80% des revenus (Rivette et Kline, 1999).

Au-delà du fait que cela correspond à la loi de Pareto, il est plus intéressant de comparer ces résultats à « la dialectique du tube et du catalogue » (Miège, 1984)20. Le processus d’innovation s’apparente au processus de production culturelle par son caractère peu rationnel et par la faible probabilité de réussite. Les 20% des brevets actifs couvrant les dépenses des 80% dormants, ceux-ci peuvent être ouverts à l’extérieur sans trop de risques dans l’espoir de revaloriser un actif non-exploité par choix ou par incapacité.

L’acronyme ODOSOS -Open Data, Open Source, Open Standards- montre bien ce qui doit être partagé dans une dynamique d’innovation ouverte. Il faut tout d’abord montrer les recherches et les données disponibles, donner la possibilité à des partenaires d’influer sur le code source, que ce soit d’un point de vue technique ou sur une question de business model, et enfin leur permettre d’utiliser les standards de la boîte. Ceci afin qu’ils soient capable de créer des services ou des produits non seulement compatible, mais surtout optimisés avec l’innovation de la compagnie.

Pour Randall Rothenberg, président de l’Interactive Advertising Bureau :

« Les compagnies ne peuvent continuer à garder leurs propres secrets d’innovations en interne; la clé du succès est de créer une plateforme ouverte autour de leurs propres innovations afin que les clients, les employés et même les concurrents puissent construire sur cette base. ».

Le meilleur exemple de cette stratégie est le cas Apple qui bénéficie de la richesse de l’écosystème lié à ses produits, que ce soit les applications comme les accessoires créés par des acteurs externes.

Des stratégies d’implantation

Dans l’article “how do large multinational companies implement open innovation”, Letizia Mortara et Tim Minshall décrivent 4 stratégies d’implantation :

Figure 2 Les 4 stratégies d’implantation d’une démarche d’open innovation — Romaric Servajean-Hils, adapté de Mortara & Minshall, 2011 22

  1. Le changement Top-Down : C’est la direction qui va initier et soutenir l’implantation. Suivant une stratégie définie en amont par la direction générale, elle s’appuie généralement sur des cadres expérimentés servant d’intermédiaire entre les différents départements et l’extérieur.
  2. Le changement Bottom-Up : Ce sont les équipes qui vont initier et soutenir l’implantation. Sans coordination centrale, les acteurs de cette stratégie n’ont pas attendus les travaux d’Henry Chesbrough pour développer, à leurs niveaux, des démarches ouvertes. Ce sont les équipes qui, individuellement, ont développé des processus ouverts sur l’extérieur et sélectionné les plus opérants de façon empiriques.
  3. Fonctions distribuées : C’est la direction qui va initier l’implantation mais ce sont les équipes qui seront en charge de son développement. Bien qu’enclenchée suite à une demande de la direction générale, ce type d’implantation se fait selon les opportunités des différentes équipes. Certaines seront donc plus avancées dans leurs démarches d’ouvertures que d’autres.
  4. Fonctions centralisées : Ce sont les équipes qui vont initier l’implantation et demander à la direction générale de la soutenir et de l’étendre à d’autres services. Ce type d’implantation va voir quelques équipes se regrouper de façon autonome pour mettre en communs leurs capacités mais également leur expérience par rapport à l’innovation ouverte. Cette démarche va être soutenue puis coordonnée par la direction générale.

Les différentes stratégies dépendent surtout de l’implication des différents acteurs de l’entreprise. Les démarches issues d’un changement bottom-up sont plus dans l’esprit de l’innovation ouverte et imprègnent davantage la culture de l’entreprise mais leur développement, par nature imprévisible, complique une implantation de grande ampleur. C’est pourquoi la direction générale doit la soutenir et la généraliser. Il faut toutefois prendre en compte que centraliser un ensemble de démarches d’innovation ouverte peut lui faire perdre l’agilité et la souplesse nécessaire à son fonctionnement. Au-delà de la mise en place de différents dispositifs d’innovation ouverte, le principal enjeu est de changer de culture. Il s’agit de passer d’une culture dites fermée, isolée, secrète et propriétaire à une culture ouverte, connecté, partagée et centrée sur l’accès. Idéalement, l’ouverture de l’innovation est à la fois le fait de la direction et de la base, c’est un mouvement co-construit qui assurera le mieux sa pérennité.

2. Deux dispositifs d’innovation ouverte

Une autonomie ponctuelle

L’idée des temps libre Google, inspirés des initiatives de 3M dans les années 50 suite à l’invention du post-it, peut s’intégrer dans le concept de capacitation. Le principe pour Google est de laisser 20%23 du temps de travail des ingénieurs pour des projets personnels. Ainsi, chaque salarié est invité à profiter des ressources de Google pour explorer une voie qui le passionne et qui pourrait être bénéfique à l’entreprise. Le projet personnel est ensuite présenté aux pairs afin de décider s’il peut devenir un projet commun. Cela provoque un excédent de ressource humaine au sein d’une entreprise exploitable bénéfique aux différents dispositifs d’innovation ouverte, que ce soit l’intrapreneuriat, la mise en commun ou encore le crowdsourcing compétitif.

En donnant le temps et la légitimité, Google encourage une réelle prise d’initiative qui est à la fois un avantage en termes de créativité, une source de motivation et un renforcement de la marque employeur. Car en plus de développer de nouvelles idées, ce temps libre peut être consacré pour s’investir dans des projets extérieurs à Google et notamment le logiciel Open Source, ce qui garantit à l’entreprise une visibilité et des contacts à l’extérieur. C’est également pour lui l’occasion de prendre du recul sur son travail et de se mettre en contact avec d’autres milieux, d’autres services et d’autres projets, cette autonomie est l’occasion de s’ouvrir à d’autres thématiques.

A l’heure de l’individualisme, garantir un espace d’autonomie à ses employés est un moyen de gagner leur loyauté. Pour garantir et protéger ces 20% d’autonomie, l’employé devra honorer cette confiance auprès de l’employeur, mais également auprès de ses pairs. C’est également un moyen pour Google de s’approprier les projets que ses employés auraient eu la tentation de réaliser à l’extérieur. Cela permet d’exploiter l’ensemble du potentiel créatif d’un employé, y compris les idées qui n’ont pas de liens direct avec la mission qui lui est assigné.

Le crowdsourcing compétitif
Le terme crowdsourcing (Howe, 2006) est un mot-valise composé de crowd, la foule et d’outsourcing, l’externalisation. Pour Howe, le crowdsourcing est l’action d’externaliser une tâche habituellement traitée par un agent interne à la foule via un appel ouvert. Lebraty (2007) propose de traduire le terme crowdsourcing par « externalisation ouverte », ce qui a l’avantage de mettre en évidence l’intégration du crowdsourcing dans une logique d’innovation ouverte.

Organiser un événement de crowdsourcing compétitif, avec l’aide d’une équipe d’animation externe, est l’occasion de montrer aussi bien aux participants qu’aux commanditaires qu’il est possible d’innover plus simplement et rapidement. Pour le commanditaire, ce processus est bien plus engageant et stimulant qu’un cahier des charges confié à un prestataire extérieur, puisque la démarche agile prône une co-conception favorisant l’interaction. Pour les participants, c’est l’occasion de collaborer avec des profils variés et de libérer sa créativité sur un projet qui aboutira rapidement à du concret.

Pour les services des grandes entreprises, il est tout aussi intéressant d’organiser des événements de crowdsourcing participatif que de faire participer ses employés. Il est possible qu’un service organise un hackathon ouvert simplement aux autres services afin d’amener de la transversalité et de lutter contre l’innovation en silos. Le rôle d’un espace dédié est d’être une fonction support en prenant en charge l’animation et l’accueil de cet événement de crowdfunding compétitif ou en faisant l’intermédiaire avec une équipe externe.

Pour Marie-Noéline Viguié, directrice de Nod-A24 :

“Comme beaucoup d’autres acteurs, les musées ne savent pas comment intégrer les nouvelles technologies. Alors qu’en suivant un processus traditionnel, un prototype mettrait 8 mois à 1 an à sortir, Museomix25 a pour fonction d’utiliser une approche intégrée, proche des méthodes agiles pour créer de la transversalité et de la transdisciplinarité afin de créer de l’adhésion et de la compréhension. Ces dispositifs sont des agents de changements plus efficaces que n’importe quelle conférence, document ou séance de brainstorming. Ce design de situation permet d’apporter, dans un contexte précis, une solution. C’est un moyen pour les gens d’accepter et même de porter le changement, alors que nous avons tous tendance à y être réfractaires. Les résultats sont montrables, compréhensibles par d’autres et permettent à chacun de s’en emparer.”

Pour apprendre un nouveau savoir-être plus favorable à l’innovation, il faut souvent quitter son environnement quotidien qui est trop imprégné des routines, des conventions et des habitudes. La mise en situation est une pratique courante pour faire expérimenter des démarches plus agiles et plus spontanées. Les événements de crowdsourcing compétitif, permettent un décalage grâce aux dynamiques ludiques. Ces dispositifs de créativité collaborative proposent un cadrage suffisamment rigoureux et stimulant pour que les participants acceptent de jouer le jeu et s’imprègne du mode de fonctionnement agile.

Pour Chanal et Caron-Fasan (2010), Le crowdsourcing est l’ouverture du processus d’innovation pour intégrer de nombreuses compétences externes à l’entreprise et diffusés par le biais d’installations Web. Saxton et al. (2013) vont même plus loin en désignant trois éléments définissant le crowdsourcing : la foule, l’externalisation et le web. Ces différentes définitions indiquent clairement que le crowdsourcing est tributaire d’une plateforme web a même de récolter et d’organiser les productions de la foule.

3. S’appuyer sur la transition numérique

Il s’agit donc pour l’entreprise de faire une transition culturelle similaire à la transition numérique. La FING, Fondation Internet Nouvelle Génération, a listé 7 leviers propres au numérique à solliciter pour réaliser des transitions. Ces 7 leviers, l’optimal, le soft, le smart, le capacitant/distribué, l’open le disruptif et l’agile entrent particulièrement en résonnance avec la transition vers l’innovation ouverte et avec l’objectif d’acquisition d’une culture de la créativité et de l’innovation.

Le levier optimal cherche à rationaliser et optimiser des processus au moyen d’outils de gestion ou de pilotage numérique. Cette capacité permet d’organiser une innovation décentralisée et désynchronisé au moyen de la dématérialisation des processus.

Le levier soft augmente les possibilités de partage, de collaboration désynchronisée et d’adaptation tout au long du cycle de vie en transforme tout ce qui peut l’être en données et en logiciels, et en limitant autant que possible la matérialisation.

Le levier smart vise à transférer les caractéristiques des systèmes smart, comme la transversalité, l’automatisation des circuits décisionnels ou encore la gouvernance selon différentes échelles vers des systèmes relationnels comme les écosystèmes d’innovation.

Le capacitant/distribué vise un fonctionnement plus horizontal et plus collaboratif par la mise en commun des capacités, l’outillage et l’interconnexion des individus. Cet idéal est proche de la culture numérique libertaire porté par les makers et les hackers. L’innovation devient plus collaborative, plus ascendante et repose sur des écosystèmes ouverts.

Le levier ouvert fait notamment référence à la cyberculture dont sont issus les standards ouverts comme l’open source et une génération d’entrepreneurs adeptes des mouvements plutôt que des guerres de positions ayant inspiré l’innovation ouverte. Ce levier se base notamment sur la transparence, l’accès aux ressources, l’aspect participatif et la diversité des acteurs.

Le levier disruptif vise à modifier un secteur à son avantage en s’implantant sur la base puis à déplacer la valeur vers l’aval au moyen de briques technologiques mises à la disposition du secteur et notamment de communautés d’utilisateurs. C’est ce que fait un acteur comme Arduino, qui, en proposant des briques technologiques accessibles, des processeurs à 20€, a ouvert le marché du multimédia et des objets connectés à la communauté Maker notamment. Cela se rapproche des stratégies d’implantation bottom-up puisque des dispositifs d’innovation ouverte simples vont être créé puis petit à petit gagner en complexité jusqu’à convaincre la direction générale. Pour Clayton Christensen, l’innovation disruptive « décrit un processus par lequel un produit ou service apparaît tout en bas du marché pour satisfaire des besoins simples puis à conquérir l’ensemble grâce à la montée en gamme. »

Le levier agile s’appuie sur la frugalité du Lean Management et sur la modification par cycles courts, interactifs et itératifs des méthodologies agiles pour maintenir les équipes dans un changement continu et concret. La modularité de l’ensemble permettant d’agir sur des petits points et faire évoluer petit à petit l’ensemble du système.

Les différents verrous mentaux débloqués par ces leviers sont bénéfiques à l’implantation d’une stratégie d’innovation ouverte. Malgré tout, il se pose la question de la méthode à utiliser pour les actionner. Devenir plus agile, ce n’est pas qu’une question de décision, c’est avant tout une question d’apprentissage. A la fois théorique, puisqu’il faut bien comprendre les origines de la méthode et les grands principes qui ont été formalisés par la suite, et pratique, puisqu’il faut savoir comment elle se met en place, acquérir des automatismes pour l’appliquer au quotidien et avoir la conviction que cette méthode est efficace.

Le management du changement préconise un panel d’action, répondant la plupart du temps à une dynamique d’acculturation et d’acceptation top-down, pour accompagner le salarié dans une transition, qu’elle soit technique ou encore managériale. Dans le cas qui nous intéresse, nous allons plutôt chercher à provoquer un changement bottom-up, c’est-à-dire donner les capacités à la base de changer d’elle-même.

Nous allons explorer dans ce chapitre 3 une voie qui est la création d’un espace dédié afin d’ancrer, d’accompagner et de soutenir les initiatives d’innovation ouverte.

CHAPITRE 3 : CONSTRUIRE UN ESPACE PROPICE A L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

1. Des colonies pour fédérer les innovateurs

De l’importance du soutien direct

Nicolas Machiavel, dans son célèbre livre « Il Principe » écrit au XVIème siècle, estimait qu’il était plus efficace de construire des colonies que d’installer des casernes de militaire pour maintenir sa position sur un territoire nouvellement conquis29. En effet, les colons, de par leurs activités, diffusent une nouvelle culture et démontrent au quotidien que le nouveau système est là, tandis que la caserne de militaire ne fait que réprimer l’ancien système et imposer un nouvel ordre qui s’essoufflera en même temps que leurs efforts pour l’implanter. De même, si le nouveau Prince en a la possibilité, il lui est fortement conseillé de vivre sur place pour assurer une présence et suivre le changement.

Dans l’article La stratégie du Titanic30, Elen Riot montre qu’un programme de formation, d’autant plus si il est orienté sur la théorie, est insuffisant pour promouvoir l’innovation et l’esprit d’initiative propre à l’intrapreneuriat. La prise de risque inhérente à la créativité nécessite de la confiance qui ne peut être obtenues qu’auprès de la direction ou des pairs. C’est cette confiance sur le long terme qu’il s’agit de construire pour que les personnes formées et accompagnées puissent réellement mener leur idée au sein de l’entreprise. « Si l’intrapreneuriat comporte une certaine dose de marginalité, il est bon de veiller aux appuis accordés à un projet »31, davantage que les connaissances, c’est l’accès à un réseau d’entraide et l’ouverture du processus d’innovation qui garantira la survie des intrapreneurs.

Passer le gouffre de Moore

Pour ouvrir l’innovation, il faut donc construire des colonies, soit des espaces dédiés pour soutenir, fédérer et héberger l’action des premiers colons pour passer le Gouffre de Moore décrit dans la courbe de diffusion de l’innovation.

Bien que ce soit la version de Moore qui soit la plus répandue, l’approche de Philippe Mallein, sociologue français auteur de la méthode CAUTIC, est plus intéressante puisqu’elle évite l’écueil de l’acceptation. Pour Mallein, il n’y a pas de majorité tardive et encore moins de retardataires, mais simplement différentes catégories de personnes ayant des intérêts différents, sans gradation de valeurs.

Figure 3 Méthode Conception Assistée par l’Usage pour les Technologies, l’Innovation et le Changement, (MALLEIN, 1998)

Toute innovation est la transition d’un ancien vers un nouveau, pour résumer, il y a deux types d’approches face à ça. Ceux qui ont intérêts à ce que cela change, car ils savent que leur capacité d’adaptation leur permettra d’obtenir une meilleure position dans le nouveau, et ceux qui ont intérêts à ce que cela reste dans la continuité car ils savent qu’ils ont une meilleure position dans l’ancien. Chacune de ces catégories a ses extrémistes qui vont agir plus par idéologie que par rapport à leurs intérêts.

Dans le cas de l’implantation de l‘innovation ouverte en bottom-up, les passionnés vont correspondre aux individus capable de lancer d’eux-mêmes des démarches d’innovation ouverte, de prendre contact avec des universitaires ou des lead users. Il faut donner les capacités à ces innovateurs de structurer leur approche, d’ouvrir des voies, de créer des usages à même de convaincre les pragmatiques du changement de s’y mettre et de passer ainsi le gouffre de Moore. Car les pragmatiques du changement attendront que le chemin soit suffisamment balisé pour que leurs intérêts soient garantis, une fois que cela est fait, qu’il y a assez d’exemples probants et de méthodes définies, ils suivront les passionnés.

Pour leur donner les capacités d’ouvrir l’innovation, il faut qu’ils se sentent légitimes de le faire, qu’ils en aient les compétences et les moyens techniques. C’est là que les espaces dédiés trouvent tout leur sens. Nous allons voir au travers des exemples des tiers-lieux et des FabLabs que ces espaces, par les activités qu’ils peuvent héberger et leurs propriétés intrinsèques sont l’outil idéal pour ouvrir l’innovation.

Les tiers-lieux pour accompagner les prises d’initiatives

La notion de tiers-lieux a été introduite par le sociologue américain Ray Oldenburg en 1989 et désigne des espaces marginaux entre les deux environnements sociaux principaux, le travail et la maison. Ce sont des espaces dédié à la vie sociale de la communauté où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle.

Le tiers lieu peut être vu comme un espace marginal-sécant entre ces deux sphères, le concept a rapidement été élargi à d’autres environnements sociaux. Ces espaces présentent l’avantage d’être des lieux neutre de rencontre entre une sphère et l’autre, entre la maison et le travail, entre l’intérieur et l’extérieur. Cela réunit les deux mouvements de l’innovation ouverte dans une forme d’exterritorialité sécurisée propres aux rencontres, aux échanges et à la coopération33. En effet, lors d’un échange avec l’extérieur ou entre services, il est bon d’avoir un lieu de rencontre dédié pouvant héberger la coopération. Cela prend en compte les rendez-vous ponctuel pour discuter d’un sujet d’innovation, comme l’organisation d’événement de crowdsourcing compétitif ou encore l’incubation de start-up externe.

Le second aspect d’un tiers lieu est d’être un espace de vie dédié à une communauté. Dans l’optique de structurer un mouvement à même d’initier une ouverture de l’innovation depuis la base, avoir un lieu de rencontre et d’échange est un atout décisif. Cela permet de fédérer et de matérialiser le mouvement et de faire en sorte que les porteurs de projets puissent collaborer et s’entraider. Dans un article de la Revue économique et sociale, les auteurs définissent les tiers-lieux comme des « points d’ancrage de la vie communautaire qui favorisent des échanges plus larges et plus créatifs ». Cette notion de point d’ancrage est importante puisqu’elle rend visible un réseau informel et transverse.

C’est ce qu’a compris la FrenchTech avec le principe des bâtiments-totem. La French Tech est une politique publique d’innovation qui a choisi de soutenir les start-up en favorisant la constitution d’écosystème entrepreneurial. Une des conditions pour être labellisée «Métropole French Tech» est la mise en place d’«Au moins un nœud physique principal du réseau régional, sous la forme d’un bâtiment-totem, identifié comme un lieu incontournable d’animation et de rassemblement de l’écosystème numérique régional et de visibilité nationale et internationale.». Les composantes proposées, comme un espace de co-working, un incubateur ou encore un FabLab, montrent clairement l’appartenance du bâtiment totem à la catégorie des tiers-lieu. Son positionnement comme plateforme de médiation d’un écosystème d’innovation montre également que les propriétés d’un tiers-lieu peuvent être sollicitées pour soutenir des démarches d’innovation ouverte.

Après avoir étudié le cas de la Ruche, un tiers-lieu collaboratif parisien, Fabbri et Charue-Duboc (2012–2013) ont proposé un modèle d’accompagnement entrepreneurial reposant sur des apprentissages collectifs. C’est un accompagnement par un « réseau de pairs » qui table sur l’émulation entre innovateurs et l’apprentissage collectif pour dynamiser les démarches créatives et innovantes35. L’idée est de programmer divers événements variés auxquels l’entrepreneur est libre de participer ou non. Ce sont ces événements de partage qui vont lui permettre de développer ses capacités, autant en savoir-être qu’en savoir-faire. L’entrepreneur co-construit son processus d’accompagnement et d’apprentissage. Il n‘est plus question d’une relation formateur- entrepreneur, puisque l’accompagnant se retire de sa posture de formateur pour devenir davantage un animateur de l’échange et si possible se retirer totalement pour laisser la place à une formation réellement de pair-à-pair.

2. Les FabLabs internes pour mettre en communs les capacités

Le pair-à-pair pour mettre en commun les capacités

Le pair-à-pair vient de l’américain peer-to-peer qui peut être couramment abrégé par le sigle p2p. Le terme est davantage connu pour être un mode de téléchargement décentralisé le plus souvent illégal. Au lieu de télécharger un fichier à un point central, qui est aujourd’hui symbolisé par le cloud computing, le fichier va être téléchargé auprès d’autres personnes dans la même situation, les pairs. Chaque personne téléchargeant un fichier doit mettre en accès ses propres fichiers pour pouvoir bénéficier des fichiers des autres. Le concept de Fog computing, qui par opposition au cloud computing se trouve près du sol et parmi les usagers, est dans cette même idée sauf qu’il prend également en compte des services et des fichiers informationnels notamment pour les objets connectés.

Michael Bauwens, fondateur de la P2P Fondation, insiste sur la mise en communs de ressources, à la fois matérielles et immatérielles, s’appuyant sur une architecture en réseaux reposant sur la libre participation de personnes. Il s’agit de la production par des contributeurs de ressources qui sont ensuite partagées par la communauté de contributeurs de pairs à pairs. Le P2P crée un « commun » plutôt qu’un marché ou un état, auquel chacun aura accès.

Cette constitution de communs a déjà existé notamment dans l’agriculture pour des ressources naturelles ou des biens physiques, comme la gestion raisonnée et communautaire des forêts ou de zones de pêches. C’est la dématérialisation des outils comme des savoirs par la transition numérique qui permet d’élargir ce modèle et de créer des communs universels immatériels à plus grande échelle. Wikipédia et les logiciels libres comme l’environnement Linux sont des exemples emblématiques de ce mode de fonctionnement.

Une des particularités du fichier numérique est d’être parfaitement duplicable à l’infini, cela modifie complétement le rapport à la propriété et permet l’avènement d’une réelle culture du partage et de la mise en communs. C’est le sens des Creatives Commons, de proposer un cadre législatif protégeant un travail tout en le laissant disponible comme base de travail pour d’autres personnes. L’idée est de donner le droit de se servir dans le commun à partir du moment où la création qui en résulte sera également reversée dans le commun. C’est ainsi que la base de donnée grossit et enrichit la communauté de nouvelles capacités.

Dans le cas d’un tiers-lieu interne à une entreprise, le « commun » se manifeste par l’accès à des ressources pouvant soutenir la prise d’initiatives. Il s’agit donc d’organiser l’accès à l’excédent de ressources (financières, humaines, etc.) comme préalable au succès des démarches intrapreneuriales36. Si l’innovateur, comme l’intrapreneur, est marginal, alors il doit s’approprier les marges car elles sont un enjeu important pour l’innovation et la créativité (Cyert et March — 1963), au-sens qu’elles lui donnent les moyens d’influencer le cœur du métier sans avoir à lui disputer ses ressources.

Les slackholders sont des « détenteurs de ressources excédentaires », répartis aux différents niveaux de l’entreprise, qu’il faut solliciter lors de l’approvisionnement des communs afin d’alimenter les projets officieux –ou développement en perruque- n’ayant pas de budgets préétabli. La réussite d’un projet d’intrapreneuriat dépend de la créativité de l’intrapreneur, de sa capacité à s’appuyer sur un réseau informel pour enfin aller convaincre la direction38, c’est pour cela que la mise en commun mise en place par l’espace dédié à l’innovation est essentielle.

Cette stratégie a été prise à bras le corps par le mouvement Maker qui cherche à démocratiser le prototypage et le maquettage, dans la finalité de se réapproprier les outils de production. Dans la suite du logiciel libre, le mouvement Maker développe des machines libres, comme la RepRap, une imprimante 3D qui se crée et se modifie aisément de façon participative. Quelqu’un souhaitant créer une nouvelle imprimante 3D peut décider de partir d’un modèle existant librement et de réaliser un fork, soit une nouvelle version apparentée à la précédente. Ils développent de nombreux sites de partage de fichiers 3D comme Thingiverse, mais également de tutoriaux comme Instructables, et encouragent l’arrivée de logiciel de modélisation simple et efficace et le partage de compétences en mode peer-to-peer.

Les FabLabs comme espaces formalisés

Le MIT, Massachusetts Institute of Technology, a formalisé les FabLab autour de la notion du libre et de la volonté de donner au maximum la capacité de créer à peu près n’importe quel objet39. Le FabLab est un espace matérialisant les aspirations de différentes mouvement comme le libre, les makers et le pair-à-pair. Il faut bien comprendre que des espaces de type FabLab existaient avant que le MIT le formalise, mais l’édition d’une charte a permis à ces lieux d’avoir plus de visibilité et d’accessibilité. Le modèle du FabLab est plus compréhensible et duplicable qu’un makerspace à la définition plus marginale. Il bénéficie en plus, d’une bonne compréhension médiatique et d’un bon soutien politique.

Selon la charte du MIT, le réseau mondial des FabLabs offre les capacités de faire n’importe quel objet grâce au commun mis à la disposition de tous. Ce commun regroupe un accès aux outils à commandes numériques, un accompagnement et une entraide en termes de compétences et un catalogue évolutif de projets déjà réalisés pouvant être modifiés ou dupliqués. La charte insiste sur le fait qu’un FabLab, comme ce qui y est produit doit être vue en tant que ressource communautaire, participative et ouverte. Si un FabLab peut être le départ d’une activité économique, celle-ci ne doit pas prendre le pas sur le reste des activités, mais bien profiter à tous.

Les FabLabs internes

Dans le cadre de l’expédition ReFaire41 lancée par la Fing, en collaboration avec Renault, Fabien Eychenne s’est interrogé en 2013 sur les FabLabs d’entreprise. Pour lui, ces « ateliers ouverts dédiés au prototypage rapide » intéressent les entreprises surtout par les pratiques qu’ils hébergent : « innovation ouverte, collaboration entre pairs, prototypage rapide en mode “essai-erreur”, documentation ouverte des projets, partage de savoir-faire, communautés d’innovateurs, management horizontal, etc. ».

Les FabLab ont l’avantage d’ « aérer le processus d’innovation » qui sont trop formalisés en ouvrant la créativité à d’autres profils plus manuels notamment, en offrant la possibilité d’exprimer des idées sous la forme de maquettes ou de prototypes et en proposant un espace où différents profils, de l’ingénieur au commercial peuvent collaborer et se confronter souplement.

Il classe enfin les apports du FabLab en 5 catégories : Tangible, Agile, Coopératif, Ouvert et Ascendant. Les mots sont différents, mais la proximité avec les 7 leviers numériques pour ouvrir l’innovation est intéressante.

Figure 4 Les 5 apports des FabLabs en entreprises, Eychenne 2013

L’observation de ces 5 catégories nous montre bien que les FabLabs participent à l’ouverture de l’innovation en entreprise.

En plus de ces 5 catégories, Fabien Eychenne met en avant le travail de vulgarisation dévolue aux Fablabs sur les machines à commandes numériques et notamment la fabrication additive, qui ont une influence croissante sur de nombreux secteurs de l’économie. Cette méthode modifie la conception de l’objet par rapport à la fabrication soustractive, mais annonce également la possibilité de matériaux dits numériques pouvant s’auto-assembler. Le rôle du FabLab est donc de montrer le potentiel de ce type de fabrication dans le but que les services concernés s’équipent eux-mêmes. Comme dans un FabLab classique, l’activité qui s’initie au FabLab ne doit pas empiéter sur l’activité communautaire et doit donc se développer en externe par la suite.

Enfin, Fabien Eychenne décline trois modèles de FabLabs d’entreprise principalement différenciés par leur position entre l’intérieur et l’extérieur. Ces trois possibilités sont intéressantes selon le degré d’ouverture que l’on veut donner au FabLab d’entreprise et aux explorations qui peuvent s’y dérouler. Les enjeux, comme les cibles, ne sont pas les mêmes lorsque l’on ouvre un processus d’innovation dans l’aéronautique ou le nucléaire que dans l’électroménager ou le sport.

Figure 5 Les trois modèles de FabLabs d’entreprises, Eychenne 2013

Le FabLab « interne » va lui davantage être utile pour organiser la mise en commun des capacités créatives, il aura ainsi une fonction de support mais également de médiation entre les services. Il s’agit donc d’ouvrir le processus d’innovation avec l’interne et de bien exploiter le potentiel créatif déjà présent au sein de l’entreprise.

Le FabLab « coopératif » vise à multiplier les collaborations avec d’autres acteurs de l’ « écosystème » de l’entreprise. Il s’agit donc d’ouvrir l’innovation en faisant venir les acteurs de sa filière et ses partenaires à soi.

Le FabLab « externe » est beaucoup plus exploratoire puisque l’entreprise va chercher de nouvelles relations dans un environnement qu’elle ne maîtrise pas. Il s’agit pour l’entreprise comme pour le salarié de se connecter aux différentes communautés d’innovations en allant là où elle se trouve.

Avoir un lieu dédié à l’innovation ouverte, que ce soit un FabLab ou non est également intéressant en ce que cela permet de soutenir des dispositifs d’innovation collaborative.

L’émergence d’une intelligence collective

Amadou Lo, qui réalise une thèse en lien avec le Creative Lab, a montré que les FabLabs, et notamment le Creative Lab, pouvait être considéré comme un espace d’émergence d’une intelligence collective issue de l’interaction des membres. La chercheuse Greselle (2007) défini l’intelligence collective comme un « ensemble de capacités d’un collectif de travail issu de l’interaction entre ses membres et mis en œuvre pour faire face à une situation, présente ou à venir, complexe. ». En se basant sur un état de l’art du domaine de l’Intelligence Collective, il met en évidence trois critères favorisant l’émergence de celle- ci :

Figure 6 Le FabLab interne comme espace d’émergence d’intelligence collective, Lo 2014

Les propriétés du Creative Lab sont donc propices à l’émergence d’une culture créative à même de générer des projets innovants grâce à de réelles capacités créatives, à la fois pour formuler des idées inattendues et pour les formaliser grâce au prototypage rapide.

SECONDE PARTIE : LE RENAULT CREATIVE PEOPLE LAB

CONTEXTE :

Je réalise donc un apprentissage au sein du Technocentre de Renault à Guyancourt, lieu de conception de la gamme des voitures Renault et Dacia. Renault est une marque de l’Alliance qui réunit également Nissan et Dacia. La dynamique est à la fusion entre Renault et Nissan ce qui bouleverse considérablement l’organigramme des deux entreprises.

Le service dans lequel je me situe à vocation à diffuser une culture de l’innovation et une ouverture en-dehors du monde de l’automobile au sein du Technocentre. Pour cela, nous avons plusieurs outils qui prennent souvent la forme d’un espace.

Tout d’abord, il y a l’Innovation Room qui est avantageusement située au centre du Technocentre et correspond à une salle d’exposition permettant de développer des sujets comme la gamification, la génération maker ou encore le design universel.

Ensuite, il y a le Creative People Lab qui est un FabLab professionnel, soit un atelier de prototypage et de créativité dans lequel nous organisons des débats, des ateliers de créativité, des mini-conférences et on héberge une communauté, la Renault Creative People. Cette communauté passe souvent au Creative Lab mais a également une existence numérique puisque nous maintenons également un blog ainsi qu’un forum où les membres peuvent discuter.

Enfin, il y a la bibliothèque professionnelle qui regroupe de nombreux ouvrages et magazines. Elle sert également de salle de conférence et comme support de l’activité de veille portant sur différents sujets comme la santé connectée, le véhicule autonome ou encore la stratégie de Google sur la mobilité. Cela se manifeste surtout online avec une newsletter, un scoop.it pour la curation ainsi que des commandes de dossier sur des problématiques données.

ENJEUX :

L’enjeu est de savoir comment développer ces différentes activités et notamment le Creative People Lab qui va bientôt déménager dans un espace bien plus conséquent. L’idée est de faire vivre véritablement une communauté transversale de personnes innovantes au sein de Renault. Ceci afin de lutter contre les effets de silos et de valoriser une définition de l’innovation davantage centrée sur l’usage que sur la technique.

Le Creative Lab espère également un changement culturel dans l’ensemble du Technocentre pour un état d’esprit plus spontané, plus créatif et avec plus de prises d’initiatives. La révolution culturelle qu’a effectuée Ford notamment en lien avec le TechShop est un modèle récurrent bien que cela soit au moyen d’un FabLab « externe ».

A partir de là, il nous faut travailler sur les motivations liés aux espaces collaboratifs, pourquoi les gens viennent, s’investissent et décide de s’approprier le lieu ? Il s’agit également de questionner ces espaces en tant qu’outils de communication.

Enfin, il s’agira également de questionner l’ouverture dans un lieu de recherche. L’avènement de l’innovation ouverte bouleverse les lieux d’innovations qui deviennent collaboratifs et se modifient. Les lieux de savoirs deviennent de plus en plus liés à la société, comme des lieux de passage alors qu’auparavant, ces lieux étaient hors des distractions de la ville et parfois tenus secret.

Si ces lieux sont capables de proposer le foisonnement nécessaire pour la créativité, il faut arriver à maintenir le contact avec le reste du Technocentre et intégrer cet espace dans le processus d’innovation.

LE CAS DES EVENEMENTS

Dans le cadre de ses activités, le Creative Lab propose plusieurs événements ayant chacun des objectifs précis en plus de faire connaître le lieu. A la fin de mon apprentissage, la ligne événementielle s’est structurée ainsi :

Figure 7 : Programmation du Creative Lab au mois d’août

Outre une permanence pour accueillir à la fois les visiteurs et les personnes ayant des projets en cours, nous organisons 4 événements hebdomadaires dans la mesure du possible.

Nous allons analyser ces différents événements au regard des théories évoquées dans les premiers chapitres. Nous allons notamment modéliser les interactions de chaque événement sous forme de schémas afin de voir lesquels présentent des interactions centralisées autour d’une personne ou distribuées entre participants.

Il faut donc différencier la parole issue de l’équipe gérante, en rouge, et issue de participants, en noir. La taille du cercle marque l’importance et l’engagement de la personne. La disposition des cercles représente à la fois la disposition spatiale des personnes dans la pièce et les logiques d’interactions. Dans la majeure partie des cas, nous considérons que deux personnes assises à côtés discutent entre elles même si ce n’est pas prévu dans l’organisation de la séance.

1. Le débat-sandwich :

Se déroulant tous les mardis midis, le but est de diffuser une culture d’innovation par le débat. Au moyen de vidéos sur la créativité et l’innovation, par exemple des conférences TED, nous initions un débat entre tous les participants. L’idée est d’associer la démocratisation de la culture, avec un apport de notre part sous forme de sélection et contextualisation des vidéos, et la démocratie culturelle, avec un débat et des apports de chacun.

Figure 8 : Légende des structures interactionnelles

Ceci afin de se construire une culture d’innovation commune compatible avec l’esprit de la communauté et la culture corporate.
Généralement, le temps cumulé de vidéos est de 30 minutes coupé en deux ou trois morceaux pour un débat cumulé d’au moins une heure. Le nombre de participants oscille entre 3 et 12 personnes. Parmi les présents, en moyenne, les deux tiers sont des personnes qui viennent régulièrement aux débats-sandwich. Nous suivons le modèle

d’accompagnement de Fabbri et Charue que nous avons vu précédemment puisqu’à terme, nous souhaitons que cet événement se génère de lui-même et que d’autres volontaires puissent proposer des vidéos sur lequel débattre.

Le débat-sandwich est l’événement avec la plus forte moyenne d’interactions par personnes. Elle présente une forme en arc de cercle dû à la présence d’un contenu vidéo. Les interactions sont la plupart du temps communes mais il se peut que le débat se scinde en deux groupes. Bien qu’il vaille mieux éviter que tout le monde parle en même temps, ce n’est pas dommageable d’avoir ponctuellement deux discussions parallèles. Il est compliqué d’éviter cela sans prendre une posture de maître de la parole qui peut être perçue comme une forme de censure. Même si l’animateur possède un rôle central, l’attention n’est pas polarisée sur sa personne mais sur le contenu vidéo qu’il propose. Le contrôle sur le contenu et sa contextualisation reste une forme d’acculturation descendante contrebalancé par la structure des échanges.

Figure 9 Structure interactionnelle du débat- sandwich

2. Les formations libres

Comme pour le débat-sandwich, le modèle d’accompagnement de Fabbri et Charue est complexe à mettre en place et demande un changement culturel dans la perception dans la formation. Il faut que les participants soient dans une posture réellement participante et soient prêts à prendre la parole pour amener un apport de connaissance en plus.

Il s’agit donc de donner aux gens des capacités créatives, que ce soit par l’apprentissage des machines, des logiciels voire même par l’apprentissage du dessin rapide, ou sketching. Cela prend la forme de petites formations le mercredi et le vendredi midi. L’objectif de cet événement est donc davantage dans la (re)capacitation des individus mais également à la mise en communs des compétences en pair-à-pair.

Pour cela, nous avons mis en place des formations libres qui sont accessibles gratuitement et sans réservations quelconque. Voici le code source des formations libres tel que nous l’avons défini qui reprend clairement les concepts évoqués précédemment.

Les formations libres ont pour objectifs d’initier simplement à la créativité. Plusieurs concepts les structurent :

  1. Le Pair à Pair : La formation est un échange de savoirs et de compétences entre participants, le formateur est un référent et un animateur de cet échange. Il faut encourager l’entraide et la prise de parole.
  2. Le Faire : Le meilleur moyen d’apprendre est de faire par soi-même. Il faut donc proposer un cas pratique et veiller à ce que tout le monde suive bien toutes les étapes pour arriver un rendu final tangible.
  3. Le Libre : Pour garder une ambiance spontanée et bienveillante, l’entrée comme la parole, doit être libre. Tout le monde est libre de venir, de participer, de proposer son savoir, de se tromper, de recommencer.

Les Formations Libres réunissent davantage de monde que les débats-sandwich puisque cela oscille entre 8 et 15 personnes. Cela demande également une plus grande préparation que ce soit pour la structure et le contenu du cours comme la mise en place du matériel nécessaires aux études de cas. L’appel à participation est plus fort puisqu’il s’agit de trouver des personnes pouvant mener une formation sur un cas précis et ayant à la fois le temps et les compétences.

Certains apprentissages nécessitent également une certaine continuité et régularité dans les efforts. Ce que ne peuvent offrir les formations libres dans leur forme actuelle où il faudrait davantage parler d’initiations. C’est pourquoi une école de la créativité, en tant qu’école métier, va être mise en place afin de proposer des parcours de plusieurs modules de formations libres à la suite. Ces parcours seront donc modulaires et couvriront différents aspects de la créativité, allant du storytelling jusqu’à la programmation de carte-mères de type Arduino. Cela devrait exister en parallèle des formations libres. Dans ce cas, libre, prend également le sens que ce n’est pas inscrit dans un programme contraignant. Son logo est une pomme puisque c’est le symbole du savoir et de l’apprentissage.

Figure 10 Structure interactionnelle des formations libres

Les formations libres sont polarisées autour d’un duo, le formateur et un membre de l’équipe gérante du Creative Lab qui lui apporte un soutien à la fois matériel et de conseils par rapport à la structure de la séance. Les participants se structurent souvent en petits groupes de deux ou trois personnes, souvent pour des raisons techniques liés au nombre de postes d’apprentissage disponible, mais également pour avancer à plusieurs. L’un suivant les instructions et les relayant à l’autre qui les exécute et vice-versa. Charge au duo d’animateurs de faire le tour de ces petits groupes pour les soutenir et veiller à ce que tout le monde suive. Il suffit d’une étape mal comprise pour que le participant ou le petit groupe n’abandonne ou perde la motivation. Il n’est pas évident de rompre la polarisation lors d’une formation mais cela peut-être fait en invitant le plus souvent possible des participants à expliquer certains points voire expliquer leurs méthodes. Le but étant de faire davantage des échanges de bonnes pratiques que de la formation, ce qui permet de mettre en commun les connaissances.

3. Le café des idées

Initialement appelé « Ateliers des idées », c’est l’événement historique du Creative Lab puisqu’il a été lancé dès sa fondation et qu’il a dépassé la cinquantaine d’éditions. C’est Lomig Unger, co-fondateur du Creative Lab qui s’en occupe et qui accueille à ces occasions des personnalités apportent soit un témoignage, soit présentent un projet pour avoir des retours. L’idée est davantage d’ouvrir le Technocentre sur l’extérieur.

Le café est un symbole évident non seulement pour symboliser le créneau horaire mais également pour représenter l’échange d’idée puisqu’historiquement, le breuvage comme le lieu ont toujours été vecteur de brassage d’idée dans la société civile comme pour les cafés parisiens lors du siècle du Lumières. Une conférence TED visionnée lors d’un débat-sandwich a même fait l’hypothèse que c’est le passage en Angleterre de l’alcool, une boisson enivrante, au café, une boisson stimulante, qui a provoqué le siècle des Lumières en libérant le potentiel de réflexion de chacun.

Le café des idées est l’événement le plus polarisé puisqu’il y a un interlocuteur principal qui répond aux questions. Cet effet est contrebalancé par le fait que cet interlocuteur ne fait pas partie de l’équipe qui gère le FabLab où en tout cas ne se présente pas pour cette raison. C’est une autre méthode pour associer acculturation, par le choix de l’interlocuteur, et démocratie culturelle, par l’origine de l’interlocuteur. Le but premier reste d’ouvrir vers d’autres personnalités extérieurs aux services des participants voire même à l’écosystème de Renault. Il faut également prendre en compte que c’est un événement protéiforme qui a répondu à de nombreux besoins différents, ce schéma ne représente qu’une moyenne des séances auquel j’ai pu assister.

Figure 11 Structure interactionnelle du Café des Idées

4. Des événements quasi-informels

Les événements ont des caractéristiques communes propres à la philosophie du Creative Lab, il n’y a pas besoin d’inscriptions, ni de demander des autorisations pour venir. Cet aspect est renforcé par leur créneau horaire, sur la pause du midi ou en fin de journée afin que les participants puissent se libérer facilement. Ce sont des créneaux volontairement similaires aux activités de loisirs qui bénéficient d’ores et déjà d’une certaine acceptation. Il est bien vu aujourd’hui de prendre le créneau de midi pour aller faire du sport au Technocentre et cette tolérance doit pouvoir être étendue aux activités du Creative Lab.

Il faut également faire une communication autour de ces événements puisque le risque de n’attirer personne est réel. Plusieurs événements ont dû être annulés faute de participants. Il faut arriver à faire abstraction et considérer cela non comme un échec mais comme un risque inhérent à la pratique. C’est une communication quasi-informelle puisqu’elle se doit d’être flexible. Les événements sont rarement prévus plus de deux semaines à l’avance, il faut donc être capable de communiquer sur ceux-ci dans les jours puisqu’il est couramment accepté qu’il faille un délai d’au moins deux semaines pour s’assurer de la présence de participants à une réunion ou autres. Les temps de conception de la communication sont donc très courts, souvent un ou deux jours, et ne peuvent que difficilement faire des allers-retours pour validations avec le niveau supérieur. C’est pourquoi la communication se fait au moyen d’un blog, d’une newsletter mais également d’affiches accrochées à la volée sur le technocentre, sans validaions

particulières la plupart du temps. La structure des affiches est prévue pour être réalisable très rapidement. Deux types d’affiches existent, celles pour un seul événement, et celle présentant le programme des prochaines semaines.

5. Une préconisation : Le Bidouille Camp

Ces événements sont uniquement ceux qui sont réalisés au sein du Creative Lab puisque d’autres événements comme la Communauté d’Innovation et les relations avec Idea’s Lab sont de l’ordre de l’innovation ouverte externe mais n’ont que peu de liens avec le Creative Lab en tant qu’espace. Ils permettent chacun d’ouvrir l’innovation à leur niveau en s’appuyant sur les différents leviers et apports que l’on a pu identifier.

Débat- Sandwich

Café des Idées

Formation Libre

Construction culturelle

Démocratie culturelle

Acculturation

Emancipation créative

Critère d’émergence d’intelligence collective

Divergence d’avis

Apprentissage individuel,

Diversité des compétences

Leviers numériques

Agile, Open

Open

Capacitant

Apports d’un FabLab interne

Ouvert en interne, Coopératif

Ouvert en externe

Ouvert en interne, Agile, Tangible

Figure 12 Tableau d’analyse des événements du Creative Lab

L’analyse de ce tableau montre toutefois que ces événements ne couvrent pas tous les besoins puisqu’il manque une réelle dimension coopérative permettant de participer concrètement au processus d’innovation. C’est pourquoi la proposition d’un nouvel événement répondant à ces manques, le Bidouille-Camp, est préconisée

Dans le cadre de Renault, l’événement est déjà en phase d’expérimentations puisqu’il a été lancé le 19 août 2015 et a déjà initier deux projets fédérateurs, la conception d’une Twizy radiocommandé, comme support à la réflexion autour de la voiture, et la conception d’une armoire modulaire pour le Creative Lab.

Le terme Open Bidouille Camp est à la fois le nom d’une association et d’un type d’événements répondant à une charte. Ces événements visent à donner de la visibilité aux projets de bidouilleurs, que ce soit des makers, des hackers ou des bricoleurs. Ceci au moyen d’un événement où chacun présente ses activités pour faire des appels à idées, à compétences ou simplement pour vendre ses services. Si l’événement venait à se généraliser, il faudrait demander à cette association l’autorisation de prendre cette appellation et par conséquent, respecter la charte. Cela pourrait être une bonne chose car ce serait l’occasion d’ouvrir des contacts avec cette communauté créative et de s’ouvrir sur l’extérieur.

L’idée est de favoriser la constitution de micro-réseaux, des projets-bidouilles, autour d’un porteur de projet qui apprend ainsi les compétences de l’intrapreneur. Celui-ci présente le projet lors d’un Bidouille Camp, toutes les personnes présentes boxent son projet, c’est-à-dire qu’ils vont le tester, proposer des ouvertures mais surtout proposer des collaborations. Une fois que des volontaires se sont désignés, ils forment une petite équipe et développent cela sur leurs temps libres au sein du Creative Lab, sous la forme d’un projet-bidouille. Lors des bidouilles camps suivant, ils devront présenter leur avancement et éventuellement faire un appel à compétences. Le but est vraiment de créer de petites équipes fonctionnant de manière agile et avec le soutiens et la revue des pairs (peer reviews). C’est également l’occasion de donner une visibilité et de repérer les projets en cours au sein du Creative Lab. C’est un premier pas dans la collaboration et dans la construction d’une certaine forme d’intelligence collective.

Figure 13 Structure interactionnelle du Bidouille Camp

Les bidouilles camp sont polarisés autour d’un animateur et des différents porteurs de projets qui vont présenter leurs avancements et leurs besoins devant les pairs, suivant une forme de démocratie culturelle puisque ce n’est pas l’équipe gérante du Creative Lab qui juge les productions, en tout cas pas à ce moment-là. Pour les porteurs de projet, cela permet une certaine forme d’empowerment puisque c’est pour eux l’occasion de rendre leurs idées visibles et de gagner la fameuse reconnaissance des pairs.

Figure 14 Structure interactionnelle d’un Projet-Bidouille

La structuration de chaque projet-bidouille est bien moins polarisé, puisqu’il y a de nombreuses interactions, même s’il y a tout de même la présence d’un porteur de projet, qui peut être un simple référent comme un réel leader. Il y a également un coach membre de l’équipe dirigeante ou mandaté par. Celui-ci se situe à la frontière du projet, à la fois simple participant et responsable ayant un devoir de recul par rapport à l’avancement du projet et sa pertinence dans le cadre du Creative Lab. C’est notamment à lui de s’assurer que les projets bidouilles suivent des méthodes agiles, et notamment des itérations courtes pour garantir des portes d’entrées et de sorties récurrentes du projet, et bienveillantes puisque c’est un travail bénévole. Il doit également veiller aux interactions entre projets-bidouilles et leur ouverture à la communauté. Il doit être facile pour quelqu’un d’extérieur de savoir ce qui s’y passe, de participer éventuellement et de se retirer. En effet, il s’agit davantage d’un management de la contribution qui a ses règles.

Cela peut-être fait grâce au levier soft avec un système d’information, comme Facebook, GithHub ou le community sharepoint de Renault, permettant une collaboration désynchronisée et favorisant les liens faibles. C’est également un référent par rapport aux ressources du Creative Lab à mettre à disposition du projet-bidouille.

Débat- Sandwich

Café des Idées

Formation Libre

Bidouille Camp

Construction culturelle

Démocratie culturelle

Acculturation

Emancipation créative

Culture participative.

Critère d’émergence d’intelligence collective

Divergence d’avis

Apprentissage individuel,

Diversité des compétences

Apprentissage collectif, Propositions de projets innovants

Leviers numériques

Agile, Open

Open

Capacitant

Distribué, Agile, Smart, Disruptif, Soft

Apports d’un FabLab interne

Ouvert en interne, Coopératif

Ouvert en externe

Ouvert en interne, Agile, Tangible

Coopératif, Ouvert en interne, Agile, Tangible, Ascendant

L’analyse du tableau montre que le bidouille-camp est ainsi le bon complément aux événements déjà existants puisqu’il amène une réelle continuité et permet d’aller un cran plus loin dans les différentes transitions identifiées. S’il y a déjà eu par le passé une structure d’incubation au sein du Creative People, il faut le réactiver aujourd’hui que la structure a évolué et que la communauté s’est agrandie.

CONCLUSION

Au regard de ce que nous avons vus et étudiés, plusieurs observations nous semblent particulièrement importants :

Le Creative Lab est un espace dédié à la créativité car il permet et favorise la respiration créative à tous les niveaux. La créativité est présente en deux mouvements qui peut également être décrit comme une ambidextrie organisationnelle, la divergence, où il va falloir explorer de nouveaux territoires, oser de nouvelles idées, et la convergence, où il va falloir exploiter ses idées et les formaliser sous la forme de concepts et d’objets physique ou numérique. L’organisation spatiale du lieu est vraiment structurée autour de cette respiration auquel il faut ajouter une dimension de présentation avec la diffusion d’une certaine culture et les nombreuses interactions qui amènent la collaboration.

Le Creative Lab est un espace disruptif. C’est-à-dire qu’il vise une transition, notamment la transformation digitale et l’ouverture de l’innovation, en adoptant une stratégie bottom-up ou ascendante. Cela passe par la promotion de la créativité aux différents niveaux et notamment auprès de la base. Ceci afin de favoriser l’émergence de nouveaux usages, d’abord basique, comme la création d’objets pour améliorer le quotidien, puis de plus en plus près du processus d’innovation et de plus en plus collaboratif.

Le Creative Lab est un espace collectif voire communautaire puisqu’il va chercher à fédérer des profils créatifs de services différents, notamment les profils intrapreneurs et makers, autour d’activités et de valeurs communes. Cet aspect communautaire est symbolisé par le recours récurrent à la nourriture, que ce soit par le nom des événements, le café des idées et le débat-sandwich, ainsi que par la présence d’une kitchenette, qui sont là pour favoriser la socialisation et la rencontre. Cette communauté transversale va se construire une culture commune liée à l’innovation par les apports venant de l’équipe gérante du Creative Lab et par une prise en compte de chaque parole selon un fonctionnement horizontale. C’est par la mise en communs des capacités, qui se traduit par une réelle entraide et une vraie solidarité, que l’espace offre à chacun de nouvelles solutions. A termes, cet élan de collaboration transverse peut permettre l’émergence de l’intelligence collective et proposer des projets réellement innovants.

Le Creative Lab, enfin, est un espace marginal-sécant. C’est-à-dire qu’il fait le lien entre des univers différents, l’externe/l’interne, les projets personnels/professionnels, la culture d’entreprise/d’entrepreneur ou encore simplement les différents services. Ce concept est à rapprocher de la notion des tiers-lieux adaptées à l’entreprise. C’est également un espace qui travaille sur les marges, que ce soit en exploitant les ressources excédentaires ou en explorant les béances laissées par le processus d’innovation.

Avant tout, le Creative Lab est un espace protéiforme et supports de nombreux imaginaires différents. Ces définitions variables sont marqueurs d’une structure mouvante et flexible. Cet aspect est volontaire et même considérée comme une condition de la réussite de l’espace. Cela se traduit par un besoin permanent de changement et de modularité. C’est un espace qui avance et qui vit dans le mouvement. En ce sens, il se rapproche des start-ups qui ont elle-même des formes exploratoires et une forte capacité à pivoter et à s’adapter pour atteindre un objectif par définition inconnu.

Tous ces aspects permettent réellement de co-construire l’ouverture de l’innovation en structurant la participation autour d’un espace, de valeurs et de capacités communes.

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