benchmark plateforme innovation participative

Analyse des plateformes d’innovation participative par Flavien Besset NextStart

C&R : Tu mènes depuis cinq ans un travail d’analyse de l’offre des éditeurs de plateformes existantes, peux-tu nous résumer l’histoire de ce marché ?

Flavien Besset : Le marché des plateformes d’innovation participative a connu trois grandes étapes, qui sont toutes le produit des évolutions des besoins de la part des entreprises. La première, et la plus ancienne, procède de la volonté des grandes organisations, qu’il s’agisse des pionniers de l’innovation participative ou de celles qui sont venues plus récemment sur ces questions, de consulter leurs collaborateurs, de les engager dans l’innovation. Ces entreprises, pour passer à l’échelle, ont compris qu’il leur faudrait des outils. C’est comme cela que sont nés la plupart des éditeurs de plateformes participatives.

Plus récemment, la popularité de l’open innovation, que les entreprises ont cherché à développer, les a poussées à développer les partenariats externes. Là encore, elle se sont rendu compte que les relations avec les startups, étaient compliquées à initier et à mener au bout et donc elles ont rapidement eu besoin de plateformes dédiées pour suivre cette activité.

Dans le même temps, d’autres entreprises ont cherché à promouvoir la co-création avec leurs clients. Ces démarches ont connu un grand engouement, que l’on peut résumer en innovation crowdsourcé, ou la possibilité pour une organisation de faire appel à des communautés élargies, mondialisées, de clients, pour contribuer à imaginer les produits qu’elle vendra demain. Comme les deux premiers mouvements, ce dernier a fait prendre conscience aux entreprises qu’elles avaient besoin d’outils pour piloter ces appels à contributions auprès d’un grand nombre de personnes, puis pour recueillir les feedbacks des bêta-tests.

Quelles sont aujourd’hui les principales tendances du marché des plateformes collaboratives ?

Aujourd’hui, la concurrence sur ce marché s’est intensifiée et, dans le même temps, la demande des entreprises est retombée. La plupart des éditeurs de plateformes ont donc entrepris des stratégies de consolidation. Alors qu’il y a quelques années, le marché était plutôt composé de spécialistes qui adressaient un des trois axes que j’évoquais, on voit aujourd’hui apparaître des acteurs avec une approche plus généraliste du métier, et qui adressent l’ensemble des trois axes. Malgré cette tendance à la transversalisation du marché, certains éditeurs ont su conserver un positionnement de niche et un fonctionnement à taille humaine. Parmi ceux- ci, on retrouve d’ailleurs beaucoup d’éditeurs spécialisés dans la participation des collaborateurs, le plus gros marché des trois.

Malgré cette tendance à la concentration et à la généralisation de l’offre des éditeurs, existe-t-il des différences dans ce qu’elles proposent ?

Effectivement, il est possible de distinguer deux grands types de plateformes. Il existe, d’une part, des plateformes dédiées à la collecte des contributions, individuelles ou en équipe, dans un mode de challenge (innovation provoquée) populaire depuis plusieurs années. Ces plateformes sont celles auxquelles on pense quand on parle d’innovation participative et d’intrapreneuriat. Plus récemment, d’autres plateformes proposent une approche différente. Elles ne cherchent pas la collecte d’idées pour les transformer en projet, mais plutôt à analyser la somme des contributions pour en tirer des tendances et des enseignements afin de nourrir les transformations stratégiques de l’organisation.

Les plateformes collaboratives proposent- elles des offres différenciées pour les démarches d’innovation participative et d’intrapreneuriat ?

En oubliant la terminologie, si on regarde les plateformes, on  voit bien que  l’on  a deux approches distinctes. Au début, une plateforme d’innovation participative ne couvrait que l’amont, l’idéation à grande échelle. Cela correspondait aux préoccupations des entreprises qui souhaitaient mobiliser le plus de monde possible et avoir le plus d’idées possible. Maintenant, les entreprises sont moins obsédées par les indicateurs quantitatifs, que par la capacité à transformer ces idées en projets et en réalité tangible. On voit aujourd’hui les plateformes évoluer avec le marché : celles qui ne couvraient que l’amont, tentent maintenant à couvrir aussi l’aval. Certaines plateformes plus avancées vont jusqu’à accompagner les intrapreneurs ou aider dans la gestion du portefeuille de projets innovants, ce qui révèle je pense, une tendance de fond de se concentrer sur la mise en oeuvre et moins sur l’idéation.

Qu’apporte une plateforme en termes de suivi du déploiement d’un projet, jusqu’à sa concrétisation sur le marché ?

Il est difficile de répondre à cette question, c’est d’ailleurs un des points faibles du point de vue des éditeurs, dont un me disait justement qu’il n’arrivait pas à se rendre indispensable sur ce point. Quand les éditeurs n’étaient que sur l’amont, il y avait un enjeu de volume, auquel une plateforme répondait parfaitement. En revanche, en passant sur l’aval, l’enjeu n’est plus le même. On peut distinguer trois catégories d’offres centrées sur l’aval. Premièrement, celles qui font de la gestion de portefeuilles projet, qui ont fait des tableaux de bord, permettent de suivre des KPI et de faire des arbitrages de projet ou de budget. Ensuite, celles qui accompagnent les équipes d’intrapreneurs avec des méthodologies de startup afin de les aider dans la mise en oeuvre de leur idée, étape par étape, par une démarche structurée. Une dernière catégorie, ce sont les plateformes qui créent des espaces de collaboration pour permettre aux équipes d’intrapreneurs qui ne sont pas localisées sur un même site (et ce, d’autant plus dans la période actuelle) à travailler ensemble.

À quelles concurrences  ces éditeurs doivent-ils aujourd’hui faire face ?

Un des problèmes de cette transition de l’amont vers l’aval, est qu’elle est difficilement « plateformisable » et qu’elle entre en concurrence frontale avec les incubateurs (interne ou externe) qui avec leurs coachs ont des offres de valeur supérieures. Dans le même temps, les entreprises ont aussi commencé à organiser elles-mêmes leurs propres séances d’idéation à taille humaine, sans recourir à des plateformes, en multipliant des ateliers de brainstorming au sein de leurs Labs. Une des raisons du succès des Labs tient dans le fait qu’ils sont moins déceptifs, mieux adapter à l’acculturation des collaborateurs, à leur formation, à la création de liens humain et de décloisement.

Quelles sont les bonnes manières pour une organisation de lancer une démarche d’innovation participative ?

La principale question, c’est celle de sa maturité/culture par rapport à l’innovation et à la participation. Je conseille à celles qui n’ont jamais fait d’innovation participative, de commencer par un challenge, dans un espace-temps relativement court, environ trois mois, pour les faire passer d’un état où la participation est en sommeil, à un premier niveau d’expression collective. Mais je ne les invite pas sur la voie de l’intrapreneuriat, ce serait trop tôt pour elles. Une fois que l’on a décidé du format que l’on souhaitait mettre en place pour faire participer les collaborateurs, la question se pose de l’objet de la contribution, la thématique. Il faut la choisir avec un soin, elle doit favoriser le plus possible la participation et les contributions. Quand la démarche est porté en central et pas au niveau d’un métier en particulier, il vaut mieux choisir un thème inspirant qui ait la capacité à mobiliser en transverse. La remontée des irritants peut être une bonne piste à explorer. C’est un des thèmes sur lesquels on observe les plus forts taux de contribution, d’engagement et de transformations.

Le benchmark que tu as mené sur l’ensemble des plateformes collaboratives t’a-t-il donné à voir des plateformes destinées à favoriser la collaboration entre grands groupes sur des sujets d’innovation ?

Dans un premier temps, l’idéal serait d’avoir une plateforme unique pour gérer ces trois volets de l’innovation, mais cela est déjà très rare. Alors en ce qui concerne la collaboration entre grands groupes, on est encore à un niveau supérieur de difficulté. Les startups qui s’étaient lancées sur ce créneau sont mort-nées, tout simplement parce que dès que les choses deviennent sérieuses, les grands organisations ne sont plus d’accord pour partager avec d’autres, les résultats de leurs explorations. En revanche, pour des projets de R&D peu matures, les industriels se rendent bien compte qu’ils ont besoin de la force d’un consortium pour avancer. Et la nature de ces partenariats, axés recherche, facilite la communication et l’échange d’informations entre grands groupes. J’ai, par exemple, vu des challenges portés par plusieurs industriels autour du big data, de l’intelligence artificielle qui ont très bien fonctionné avec des plateformes d’idéation.

Flavien Besset est le fondateur de la société de conseil Nextstart, un collectif de catalyseurs de transformation, spécialisé en innovation collaborative et collective. Flavien est membre du conseil d’orientation de notre recherche sur l’innovation participative, à laquelle il contribue par sa connaissance fine des enjeux de ces démarches. Nous l’avons interviewé sur les évolutions du marché des plateformes participatives, un sujet qu’il étudie depuis plus de 7 ans.

Source : https://www.conseil-et-recherche.com/innovation-participative

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