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L’intelligence collective : une richesse inexploitée.

« Seul on va plus vite.

Ensemble on va plus loin.

En intelligence collective, on va surtout au bon endroit, tous ensemble et au bon moment. » 

Un des derniers ouvrages du prospectiviste et philosophe Jean Staune s’intitule, L’intelligence collective ; clé du monde de demain. Il y démontre avec des exemples concrets que l’intelligence collective est à ce jour une richesse sous-exploitée et pourtant inépuisable et incontournable pour vivre et se développer dans le futur. Allons voir de plus près à quoi ressemble cette richesse, de quoi elle est composée, et quels sont ses bénéfices ainsi que ses forces et ses faiblesses.

C’est quoi l’intelligence collective ?

Nous trouvons de multiples définitions de ce qu’est l’intelligence collective. Commençons déjà par définir en premier ce que nous entendons par « intelligence ». Là aussi ce terme est sujet à de nombreuses interprétations et discussions philosophiques et scientifiques. Mais je vous propose la version suivante qui dit que l’intelligence est la capacité d’une entité à traiter une situation singulière de manière à atteindre un objectif spécifique. L’intelligence est une capacité qui peut revêtir de nombreuses formes. Au-delà de l’intelligence cognitive, propre à la réflexion humaine émanant de notre cerveau et de nos connexions neuronales, il existe bien d’autres formes d’intelligences dans la nature humaine et dans la nature tout court. En 1983 le psychologue américain Howard Gardner présente son concept d’intelligences multiples dans son ouvrage, Frame of mind : the theory of multiple intelligence, critiquant au passage les tests d’intelligence qui ne prennent pas en compte cette variété d’intelligences. Parmi ces intelligences multiples il en est une qu’il nomme intelligence interpersonnelle ou intelligence sociale, totalement en lien avec la notion d’intelligence collective.

Cette forme d’intelligence est une capacité particulière d’un individu à interagir avec d’autres individus de manière à atteindre un objectif spécifique individuel ou collectif.

Comment comprendre et gérer au mieux les interactions entre les personnes afin qu’elles puissent, toutes et ensemble, atteindre un objectif commun ? Nous voilà arrivés au cœur de ce que nous appelons l’intelligence collective.

L’intelligence collective est la capacité d’un collectif à traiter une ou des situations singulières de manière à atteindre un objectif commun à tous les membres de ce collectif.

Mettre les « JE » au service du « NOUS »

Pour moi, la façon la plus claire de définir la forme de cette intelligence collective est de dire que c’est un ensemble de méthodes et de processus de réflexions et/ou d’activités, suivis par les individus d’un même groupe, leur permettant de dépasser la somme de leurs potentiels individuels.

Cet ensemble de processus permettant de réfléchir et d’agir collectivement est très cadré et très structuré, tout en étant largement ouvert à l’émergence créative. L’intelligence collective permet d’obtenir des résultats spectaculaires et réellement mesurables, principalement grâce à l’optimisation des interactions entre les individus.

Les formes d’intelligences collectives sont multiples. Elles peuvent varier selon le type de structure et d’organisation qui les accueille, selon le domaine d’activité exercé, le contexte dans lequel elles vont évoluer, la finalité recherchée et la maturité de l’écosystème dans lequel elles vont se développer.

Elles tendent néanmoins à posséder une base relativement commune, composée des quatre caractéristiques suivantes :

·       Elles s’insèrent dans un écosystème peu ou pas hiérarchisé et composé d’acteurs relativement autonomes.

·       Elles doivent disposer d’un système de partage de l’information totalement accessible et transparent.

·       Elles ont besoin d’un réseau performant d’interactions entre les membres, basé sur la confiance.

·       Elles doivent agir pour une finalité commune, partagée, comprise et acceptée par tous les membres.

De façon synthétique, l’intelligence collective ne veut pas de jeu de pouvoir, pas de rétention d’informations, pas de compétitions internes, et pas d’objectifs divergents. Il est certain que nous sommes déjà là dans un monde bien différent de celui que nous rencontrons majoritairement dans la réalité de l’entreprise.

Au-delà de ces caractéristiques de base, chaque intelligence collective adopte des processus et des méthodes qui peuvent varier. Les différentes variantes de l’intelligence collective vont principalement concerner la façon de procéder pour travailler en groupe, de prendre des décisions, de réguler les divergences ou de gérer les conflits.

L’intelligence collective est un moyen de mettre l’ensemble des contributions individuelles au service de l’écosystème. Nous voyons ici l’aspect « agglomérant » des individualités pour servir des fins collectives, avec un aspect de synergie des contributions qui va amplifier la performance globale.

Une intelligence trop ignorée dans l’entreprise

Bien que formalisée il y a une vingtaine d’années, l’intelligence collective est à ce jour une approche innovante, qui n’est pas encore très présente dans les entreprises. Certaines associations en font pourtant depuis des années la promotion au niveau mondial comme l’association Sol International fondée par le professeur au MIT Peter Senge et auteur du best-seller, La cinquième discipline. Ce professeur déclare que l’avantage concurrentiel durable se trouve dans la capacité des organisations à apprendre plus vite et mieux que les autres. Il détermine cinq disciplines complémentaires que devraient maîtriser toutes les organisations : la maîtrise personnelle de notre approche de la réalité, nos modèles mentaux, la vision partagée, l’apprenance en équipe et la dernière qu’il considère comme le levier du concept, la pensée systémique.

Forces et faiblesses des méthodes d’intelligence collective en entreprise

LES FORCES :

Seul moyen d’avancer intelligemment dans le futur

La principale force de l’intelligence collective est d’apporter une approche totalement adaptée au besoin incontournable des entreprises de se doter de collectifs forts pour demain. Nous le savons, le monde complexe nous impose de travailler ensemble pour trouver des solutions innovantes, et rejette de plus en plus des positions dominantes de technicité, de fonction ou de pouvoir.

Seul moyen de changer intelligemment ensemble

La force de l’intelligence collective est aussi d’être dimensionnée pour le traitement des sujets demandant un changement de regard. Cette adaptation est due à sa double caractéristique d’être à la fois holistique et systémique, c’est-à-dire prenant en compte le tout (l’écosystème) tout en prenant également en compte les interactions des composantes du tout (les égosystémes).

Seul moyen de bien savoir travailler ensemble

L’approche en intelligence collective permet véritablement de transformer notre regard sur le monde, mais aussi de transformer le travail en équipe. Le travail d’équipe de plus en plus autonomes est au cœur des nouvelles organisations. Les groupes de travail sont généralement des groupes de petites tailles qui possèdent des processus formels, propres à l’organisation du travail, mais ils possèdent aussi des processus informels qui régissent les échanges et les partages entre les membres. Ces processus informels répondent à des codes plus ou moins implicites, donc plus ou moins générateurs de performance et de bien-être. C’est à ce niveau que l’intelligence collective va apporter une réelle création de valeur par rapport aux autres approches, qui ignorent trop souvent les aspects informels et implicites. En effet comme l’affirme le psychologue américain et père de la dynamique des groupes Kurt Lewin, les processus qui sont activés dans les groupes, diffèrent de la psychologie individuelle et obéissent à d’autres phénomènes.

Seul moyen pour parler vrai

L’intelligence collective apporte aux groupes une capacité à parler de choses implicites, d’accueillir les émotions, de faire exprimer chaque individu, d’intégrer la notion de sens et d’activer des leviers de créativité applicables à de nombreux sujets et problématiques. L’intelligence collective est une approche qui limite les comportements égotiques ou égocentrés ainsi que les comportements de manipulation.

LES FAIBLESSES :

Pour de nombreux managers, l’intelligence collective apparaît comme trop conceptuelle et pas assez pratique. Ils ressentent la difficulté de passer des idées aux actions concrètes, et se sentent déstabilisés au moment de la confrontation avec le réel.

Prendre de la hauteur de vue peut déstabiliser

Elle peut être perçue par des acteurs de terrain comme trop éloignée de l’opérationnel. Pour être bien utilisée, l’intelligence collective demande une prise de recul et de hauteur par rapport aux problématiques concrètes. Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à adhérer et donc à participer pleinement. Le bon fonctionnement du processus de l’intelligence collective demande un niveau de lâcher-prise quelquefois trop important, voire stressant, pour des personnes continuellement actives dans l’opérationnel. Au-delà d’une perte de contrôle qui peut s’avérer nécessaire et souhaitable, certains individus peuvent également en perdre le sens. Ne plus toucher le réel et avoir les pieds qui ne touchent plus le sol de l’opérationnel, entraîne pour quelques-uns une forme de vertige et de mise en danger.

L’angoisse de l’exigence à converger

Une autre faiblesse peut apparaître, celle de la nécessité de convergence qui peut décourager les points de vue divergents. Le problème étant que les phases d’émergence d’idées peuvent également faire émerger des émotions et des non-dits, qui vont venir se superposer au travail et engendrer de multiples besoins de régulation, qui vont eux-mêmes alourdir le poids émotionnel voire d’anxiété des membres.

La crainte de perdre sa singularité

Le poids du collectif que l’on souhaite élevé en intelligence collective, peut lisser de façon excessive les individualités. En limitant les dérives égotiques, l’intelligence collective peut indirectement bloquer certaines expressions qui seraient susceptibles d’être « jugées » comme telles. L’intelligence collective peut apparaître par certains aspects et pour certaines personnes comme une entité supérieure qu’il faut servir et qui pourrait par des voies dérivées sanctionner celui ou ceux qui ne la servent pas. De plus cette servitude implicite a tendance à ignorer les besoins individuels et particuliers au profit des besoins du groupe. De manière indirecte le processus de l’intelligence collective peut demander à certains membres du groupe une trop grande quantité de renoncements à la satisfaction de leurs besoins personnels. De ce fait, une nouvelle forme de non-dit peut s’immiscer dans le processus même de l’intelligence collective. L’intelligence collective présentée comme le Graal de la performance collective et du respect de tous, n’admettrait que peu de critique à son égard.

Accepter de ne pas tout comprendre

L’aspect « magique ou invisible », et donc plus ou moins inexpliqué du processus, peut générer des effets induits indésirables. On joue avec quelque chose dont on ne connaît pas complètement le fonctionnement. Cet aspect invisible au cœur de l’intelligence collective peut faire penser au concept de la main invisible en économie développé par le philosophe et économiste Adam Smith au XVIIIe siècle. Ce concept déclare que l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, qui recherchent chacun la satisfaction de leurs propres besoins, peut indirectement et de façon invisible contribuer à la richesse commune. Or nous savons que ce concept ne se vérifie pas dans la réalité des faits et qu’une forme de régulation doit avoir lieu pour tenir cet équilibre entre les besoins individuels et le bien commun. La main invisible peut faire des erreurs.

Ce n’est pas une fin en soi, seulement un moyen

Des effets invisibles du processus peuvent venir s’inscrire de façon sournoise et insidieuse dans les interactions et devenir alors des éléments perturbateurs de l’écosystème et/ou de chacun de ses membres. Parce qu’elle est démontrée comme supérieure, la loi du collectif s’impose d’une certaine manière à l’individu qui va lui obéir par obligation morale, mais sans une adhésion pleine et entière. Le risque de l’intelligence collective est de passer d’un moyen à une fin, dans laquelle la façon de rechercher la solution compte plus que la pertinence de la solution trouvée.

Si les membres d’un même groupe peuvent se faire confiance mutuellement, il n’en découle pas pour autant une confiance sur le processus de l’intelligence collective. En effet ce dernier revêt une forme plus ou moins empirique et donc se retrouve indirectement en capacité de produire des solutions plus ou moins adaptées.

Un processus énergisant et énergivore

Le type d’énergie qui est activée par chaque individu dans un travail en intelligence collective est différent de son travail individuel. Une énergie tournée vers l’ouverture aux autres et aux idées émergentes et créatrices, n’est pas du même ordre qu’une énergie tournée vers sa propre tâche et les efforts personnels à la réaliser. Les états émotionnels sont plus intenses dans le travail en intelligence collective. Le travail individuel réalisé dans un cadre connu demande plus d’intensité cognitive. C’est d’ailleurs cette intensité émotionnelle partagée qui est un des leviers du processus. Cette différenciation d’énergie n’est pas gérée de la même façon selon les individus. Si certain apprécient de changer de rythme, cela peut en déstabiliser d’autres. Nous le voyons de façon très concrète, dans une équipe durant le travail en intelligence collective, certains membres sont totalement épuisés par ce différentiel de type d’énergie. La demande d’ouverture dans le travail en intelligence collective est telle que ceux qui sont plutôt habitués à travailler seuls, vivent difficilement cette étape. Soit, ils n’adhèrent pas ou peu au processus, soit les efforts fournis les épuisent.

Le poids important de la facilitation

Le poids de la facilitation dans la performance de l’intelligence collective, met sur les épaules du facilitateur une lourde responsabilité. Les processus de travail en intelligence collective sont, comme tous les processus, une succession de phases de travail et de règles de conduite à respecter. Tel un chef d’orchestre, le facilitateur doit rythmer le processus et faire que chacun puisse jouer sa partition. C’est ici une des grandes faiblesses de l’intelligence collective, celle que ses processus reposent de façon substantielle sur les qualités de facilitateur et d’animateur d’un individu.

Extraits de « La nouvelle vie des managers : devenir leader de l’intelligence coopérative » Editions GERESO

Source : https://www.linkedin.com/pulse/lintelligence-collective-une-richesse-inexploit%C3%A9e-philippon/

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